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L’Afrique a besoin de nouveaux leaders

Vingt-deux intellectuels et écrivains africains, emmenés par Véronique Tadjo, Eugène Ebodé et Tierno Monénembo, interpellent les organisations internationales pour réagir fermement contre les entorses faites aux Constitutions en Afrique.
Appel

La situation qui prévaut dans nombre de pays de l’Afrique de l’ouest à la veille de décisifs scrutins présidentiels est extrêmement préoccupante. Deux élections, en Guinée d’abord puis en Côte d’Ivoire, le 31 octobre, inquiètent car les candidatures d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara sont très controversées. En effet, les deux présidents veulent briguer un troisième mandat à la suite d’un changement de leur Constitution. Les arguments invoqués sont truffés de contradictions, les interprétations erronées et le langage utilisé est délibérément trompeur. Nombreux sont les citoyens choqués par le manque de parole de leurs dirigeants. Ils sont également révoltés par le refus de reconnaître l’alternance politique obtenue de haute lutte avec l’avènement du multipartisme dans les années 1990.

Ces deux tentatives d’usurpation du pouvoir s’apparentent à des coups d’Etat constitutionnels menaçant gravement la stabilité de la sous-région. En Guinée, plusieurs dizaines de personnes ont perdu la vie depuis que la nouvelle Constitution a été promulguée en avril dernier après un référendum biaisé. Il en est de même en Côte d’Ivoire où la validation de la candidature d’Alassane Ouattara par le Conseil constitutionnel a provoqué une levée de boucliers dans l’opposition et parmi les démocrates. Des manifestations contre son troisième mandat ont déjà causé près d’une quinzaine de morts et de nombreuses arrestations. Le spectre de la crise postélectorale de 2010-2011, issue d’un bras de fer entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, plane sur le pays. Le conflit s’était soldé par la défaite de Gbagbo après une guerre civile qui a causé la mort de 3000 personnes.

La faillite des institutions et juridictions nationales de dernier recours tels que le Conseil constitutionnel et la Commission électorale (établissant les listes électorales) est le résultat de l’effondrement du cadre législatif et institutionnel rongé de l’intérieur et au service du pouvoir. Tout cela brise la confiance que les citoyens auraient dû avoir dans les institutions. Il s’ensuit un blocage complet des voies légales. Les revendications et manifestations de rue contre les résultats des élections législatives au Mali, par exemple, ont constitué l’étincelle à l’origine du récent putsch militaire qui a déposé l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta.

La politique en Afrique reste trop souvent une affaire de personnes au détriment de l’intérêt général. L’instabilité grandissante fait surgir un autre danger: la menace terroriste. Les militants d’Al-Qaïda et de l’organisation Etat islamique opèrent dans la région sahélienne et pourraient profiter du chaos pour étendre leur influence vers la côte.

Nous lançons un appel à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), instituée en 1975 par le traité de Lagos, dont la mission est de mutualiser les énergies régionales pour y dynamiser un marché intérieur, d’assurer la gestion des conflits, la sécurité collective des pays membres et de renforcer la citoyenneté selon le protocole signé à Dakar en 2001 et portant spécifiquement sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Nous lançons un appel à l’Union africaine et à l’Organisation des Nations unies afin que ces institutions adoptent une position ferme pour mettre fin à toute tentative de perversion des principes démocratiques. En Côte d’Ivoire, pour éviter le risque d’un embrasement, il est nécessaire d’amener les acteurs politiques des deux camps à trouver un consensus pour une élection apaisée et transparente.

Nous vivons une période difficile marquée par des crises sanitaires, sociales, économiques et climatiques; elle requiert innovation, courage et vision pour en sortir. La politique est une affaire trop grave pour être confiée aux seuls politiciens. Il nous faut de nouveaux leaders africains à la hauteur des défis auxquels est confronté le continent.

Signataires de l’appel:

Véronique Tadjo (Côte d’Ivoire), écrivaine, Professeure invitée à l’université du Witwatersrand;

Eugène Ebodé (Cameroun), écrivain, Dr. en littératures française et comparée;

Tierno Monénembo (Guinée), écrivain, Dr. en biochimie;

Felwine Sarr (Sénégal), écrivain, Professeur à l’université de Duke, Caroline du Nord;

Zakes Mda (Afrique du Sud), écrivain, professeur émérite de littérature anglaise à l’université de Ohio;

Makhily Gassama (Sénégal), critique littéraire, ancien Ministre de la culture;

Boualem Sansal (Algérie), écrivain, ingénieur, Dr. en économie;

Juvénal Ngorwanubusa (Burundi), écrivain, ancien Ministre, professeur à l’université du Burundi;

Zukiswa Wanner (Afrique du Sud), journaliste, écrivaine, éditrice;

Lola Shoneyin (Nigeria), poétesse, romancière;

Michèle Rakotoson (Madagascar), écrivaine, Commandeur des Arts et des Lettres Malgaches;

Tochi Onyebuchi (Nigeria, États-Unis), écrivain, ancien avocat spécialisé en droits civiques;

Panashe Chigumadzi (Zimbabwe), journaliste, écrivaine;

Bisi Adjapon (Nigeria), écrivaine;

Frédéric Grah Mel (Côte d’Ivoire), biographe, docteur d’Etat ès Lettres;

Abubakar Adam Ibrahim (Nigeria), écrivain, journaliste;

Amatesiro Dore (Nigeria), écrivain;

Mohamed Mbougar Sarr (Sénégal), écrivain;

Nana Ekua Brew-Hammond (Ghana), écrivaine;

Kola Tubosun (Nigeria), enseignant, écrivain, éditeur;

Maaza Mengiste (Ethiopie, Etats-Unis), écrivaine;

Sindiwe Magona (Afrique du Sud), écrivaine.

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