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«Le médecin dit non à une loi fratricide»

Membre des Médecins pour l’environnement, Roland Niederman expose les raisons qui le poussent à combattre la loi sur le CO2, à laquelle deux référendums s’opposent désormais.
Suisse

Les deux premières missions des médecins sont la protection de la vie de l’être humain et la promotion et le maintien de sa santé. La référence à l’humain place les médecins dans le droit humain, qui dit: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux […] en droits. Ils […] doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité» (art. 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).

Or «7 millions de décès par an dans le monde et plus de 3000 en Suisse sont imputables à la pollution de l’air. La pollution de l’air entraîne des affections respiratoires, des maladies chroniques des poumons, y compris des cancers, des maladies cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des démences et des complications pendant la grossesse (OMS 2019; Agence européenne de l’environnement AEE 2019).» Cette prise de position, distribuée à la manifestation nationale Climatstrike (Grève du climat) du 17 janvier 2020, à Lausanne, par les Doctors for Extinction Rebellion, appelle à respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Le CO2 est un produit de la nature. Par contre, ce que l’humanité produit depuis qu’elle exploite industriellement les énergies fossiles, ce n’est pas du pur, mais du sale. Les poumons des êtres vivants ne respirent pas un gaz pur résultant de la combustion fossile, mais l’air pollué nuisible à la santé et, à la longue, mortel pour les cellules, les organes, les organismes. La science médicale diagnostique une pandémie de pollution atmosphérique.

Il s’agit aujourd’hui de la plus grande pandémie produite par l’humanité à travers ses activités industrielles et consommatrices, responsable de plus de morts prématurées et évitables que les guerres. Et, à l’instar des guerres, cette pandémie est une violation flagrante du droit humain.
Ces faits, connus par le gouvernement et le parlement de notre pays, leur imposent la protection de la santé et de la vie de la population, un devoir de fraternité. La Loi CO2, dans ses articles 2 et 18 à 32, fait le contraire: elle est fratricide. L’art. 2c ancre dans la jurisprudence suisse le «droit d’émissions», donc le droit de polluer, qui est, face aux 60’000 à 100’000 morts1>3000/an selon l’OFEV, 2015, «Pollution de l’air et santé»; 4000 à 5000/an selon le Conseil d’Etat de Genève (Antonio Hodgers, Tribune de Genève, 19.08.2020). évitables et prématurés depuis le début du siècle en Suisse, un droit de tuer.

L’art. 23 va plus loin: ces «droits de polluer» forment la base pour construire un marché légal qui permettra la réalisation d’affaires lucratives moyennant des bourses, des ventes aux enchères et l’accès aux marchés internationaux des «droits d’émissions». Et le Conseil fédéral veille à la «rentabilité» des mesures prévues (art. 48).

La discussion de la Loi CO2 ne peut ignorer le fait que la nouveauté centrale de cette loi est la création d’un marché des droits de polluer et la promesse nébuleuse que la rentabilité de ce marché réduira le CO2. Cependant, tant que la pollution nuit à notre intégrité physique, ses «droits d’émission» et leur marché violent le droit humain, le droit à la santé et la Convention relative aux droits des enfants, en particulier son art. 24c, qui oblige les Etats à garantir aux enfants un environnement sans pollution, condition d’un développement physique sain. Aucun progrès quantitatif de réduction promise de CO2 ne peut contrebalancer la réalité d’un marché illégitime, parce que l’air, y inclus le CO2, n’est pas une propriété humaine.

Médecin, lié au Serment de Genève et au droit humain, j’ai le devoir de contester aux responsables économiques des industries et aux marchands de la consommation, mais aussi aux responsables politiques le droit de poursuivre le massacre actuel dû à la pandémie de la pollution de l’air.

Et c’est aussi le devoir de contester aux mêmes instances le droit de disposer du bien commun, l’air que nous respirons comme d’autres créatures, pour en commercialiser des soi-disant «droits d’émission» en vue d’affaires lucratives. Ce devoir s’impose tant que l’émission de la combustion fossile nuit et, potentiellement, tue, à l’instar de l’épidémie de l’amiante du dernier siècle.

Notes[+]

Notre invité est médecin, membre des Médecins pour l’environnement, Genève.

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