Réduire la montagne de réserves excédentaires
Pour le système de santé en Suisse, cette année a représenté un véritable défi. Au printemps, la pandémie du coronavirus a exigé un effort colossal de la part du personnel hospitalier. Il a fallu augmenter les ressources dans l’urgence et les financer. Mais la question financière n’est justement pas très claire: la réponse à la pandémie a certes engendré des coûts, mais d’un autre côté, les hôpitaux et cabinets médicaux ont dû renoncer pendant près de deux mois à toute intervention non urgente. Celles-ci n’ont pas toutes été rattrapées depuis. Les coûts, donc les recettes correspondantes, ne se sont pas produits, comme le confirment – ou le déplorent – hôpitaux et médecins.
Les caisses-maladie contestent une baisse des coûts, sans toutefois produire des chiffres concrets. C’est notamment pour cela qu’elles veulent augmenter les primes pour l’année à venir. En même temps elles soulignent que la hausse serait plus forte si elles ne pouvaient pas puiser dans les réserves constituées. Ce raisonnement ne tient pas la route: les primes de l’assurance de base augmentent à moyen terme au même rythme que les coûts bruts. Comme elles doivent être fixées à l’avance, il peut y avoir chaque année des décalages plus ou moins importants. Lorsque la même année les coûts bruts augmentent plus fortement que les primes, les caisses peuvent puiser dans les réserves pour compenser.
Mais que s’est-il passé en 2019, par exemple? La prime moyenne a augmenté de 1%, les coûts bruts de leur côté ont grimpé de 4,9%. On aurait donc pu s’attendre à une baisse des réserves. C’est le contraire qui s’est produit: les réserves ont grossi de 21%! L’administration évoque des gains en bourse. Mais même avant le crash financier de 2008, la manne n’a jamais été aussi généreuse. Cette histoire pourrait se répéter en 2020: la prime moyenne a augmenté de 0,2% et les coûts devraient, selon les dires des caisses, grimper de plusieurs points. Pourtant, nous savons déjà que les réserves ne vont pas baisser pour autant, elles grossiront de nouveau substantiellement, de 13%!
Pourquoi est-ce un problème? Parce que les réserves ne sont rien qu’une accumulation d’argent provenant des primes et que, par conséquent, elles appartiennent aux assuré-e-s. Les réserves sont constituées en prévision d’éventuelles périodes de crise sanitaire. C’est exactement ce que nous vivons avec la pandémie du coronavirus. Pourtant, au lieu de baisser, les réserves continuent d’augmenter. Ce que l’USS exige depuis des années devient une évidence: la montagne de réserves (plus de 11 milliards!) doit baisser tout de suite, au moins de moitié.
La crise du coronavirus est la preuve que les caisses-maladie n’ont pas besoin de tout cet argent amassé, alors que pour la population, chaque franc compte. En termes de politique économique, on ne peut pas faire pire que prendre de l’argent aux gens ordinaires en pleine crise pour le placer de manière non productive.
Même avec une hausse modérée des primes, la charge qu’elles représentent dans le budget des ménages va prendre l’ascenseur, car de nombreux salarié-e-s doivent faire face à des baisses drastiques de revenus. Perte d’emploi, chômage partiel avec seulement 80% d’un salaire déjà modeste: dans tous ces cas, la charge des primes-maladie devient insupportable. Si, de plus, ces personnes tombent malades, elles devront encore mettre la main à la poche. Nulle part en Europe la participation directe aux coûts de la santé n’est plus élevée qu’en Suisse (franchise, quote-part, soins dentaires, etc.).
Ajoutons que les personnes à la santé plus fragile paient souvent des primes plus élevées, et que ces primes augmentent plus que la «prime moyenne» définie depuis peu par l’Office fédéral de la santé publique, qui correspond à une valeur moyenne, franchises et modèles d’assurance confondus.
Il faut donc réduire les réserves sans tarder et les restituer aux assuré-e-s. Mais ça ne suffit pas: depuis des années, la plupart des cantons diminuent les moyens mis à disposition pour les réductions individuelles de primes (subsides). C’est pourtant l’unique instrument qui permet d’atténuer la charge que représentent les primes exorbitantes pour les ménages à revenu faible ou moyen. L’USS et le PS ont déposé il y a plusieurs mois l’initiative d’allègement des primes-maladie qui prévoit que les ménages ne consacrent pas plus de 10% de leur revenu disponible aux primes. Il faut maintenant que le Conseil fédéral et le Parlement traitent rapidement cette initiative. Soit il y aura un bon contre-projet, soit nous aurons enfin une votation populaire sur un financement équitable du système de santé.
Notre invité est le secrétaire central de l’USS.