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Racisme et serment d’Hippocrate

Pour les Noir-e-s migrant-e-s en Europe et en Suisse, les écueils de la santé publique sont rarement évoqués. Pourtant, le «mépris du racisé» a des répercussions sur les soins, selon Alain Tito Mabiala, auteur congolais exilé en Suisse. Au point que l’enseignement de l’impact des différences ethniques et culturelles sur la santé a fait son entrée à l’Université de médecine.
Racisme et serment d’Hippocrate
Alain Tito Mabiala: «Il faut donner les meilleurs outils légaux et culturels aux médecins, afin qu’ils exercent leur travail en toute indépendance pour soigner n’importe quel patient.» KEYSTONE
Santé

La migration est souvent pointée du doigt avec son lot de préjugés racistes et xénophobes provenant d’antécédents historiques et des politicien-ne-s. Or, très peu parle-t-on des conséquences de ces discours nocifs sur chaque aspect de la vie des migrants. Comme la médecine à laquelle ils font recours. Il est rare que l’on s’imagine combien ce «mépris du racisé», arme favorite des anti-migrant-e-s, impacte la qualité des soins de santé des migrants. Portant ainsi atteinte à leur droit d’accès aux soins de santé, consigné dans l’article 12 de la Constitution suisse. L’influence nocive de ces discours racistes sur certains corps de métiers n’est pas à négliger.

Actuellement, dans l’enseignement de la médecine en Suisse, la problématique est prise au sérieux. Depuis 2020. La prise de conscience est née depuis le blackface (grimage en noir) organisé lors d’un évènement festif, en 2019, par des étudiants de la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne1>Bodenmann P., Hrasnica F., Prod’hom D., Perrin E.M., Ishii A., Porret R., Fricker C., Morisod K., Sanchis Zozaya J., Malebranche M.E., Green A., Bart P.-A. «Racisme et pratique de la médecine: éléments pour un apprentissage nécessaire», Revue médicale suisse, 2020; volume 16. 1373-1379, accès: bit.ly/2FhnNKk. Cette action avait soulevé un tollé de la part des étudiant-e-s noir-e-s regroupé-e-s au sein de l’Association des étudiant-e-s afrodescendant-e-s de l’Université de Lausanne. Pour prévenir ce genre d’incidents, les autorités de la Faculté de médecine et des écoles affiliées ont décidé d’introduire un cours prégradué sur le racisme dans la pratique médicale pendant le premier semestre 2020 pour les étudiant-e-s en troisième année de Master en médecine.

La Revue médicale suisse révèle qu’au niveau fédéral, dans les universités pour les médecins en formation, il vient d’être initié le programme «PROFILES» («Principal relevant objectives and a framework for integrated learning and education in Switzerland») mettant l’accent sur l’importance de l’enseignement de l’impact sur la santé et les soins des différences ethniques, culturelles, spirituelles, religieuses, et des déterminants socio-économiques de la santé et de la maladie. Ce référentiel englobe les notions de base pour comprendre les mécanismes sous-jacents qui permettent d’appréhender les notions de préjugés, stéréotypes et discriminations. Et, aussi l’introspection, l’acquisition de compétences transculturelles et d’humilité culturelle qui permettent d’y faire face2>Ibid..

La Commission fédérale suisse sur le racisme indique que les actes ont augmenté de 27% entre 2018 et 2019. Et les Noir-e-s sont les plus concerné-e-s. Ce racisme est présent dans tous les secteurs de la vie. Mais en médecine, il y a presque absence de données s’y rapportant. Les auteurs d’un article du New England Journal of Medicine3>Cleveland Manchada E., Couillard C., Sivanker K., «Inequity in crisis of standard care», New England Journal of Medicine, 23 juillet 2020, bit.ly/2R5hL22 disent que cette absence de données sur l’incidence du racisme sur la santé et l’accès aux soins favorise le color blindness (l’indifférence à la couleur de peau), en posant le postulat qu’il n’y a pas de différence entre les ethnies. Or, cela s’avère être contre-productif, et même nuisible. En effet, cela empêche la mise en évidence de cette triste réalité et bloque la production de données indispensables pour justifier des réformes et des mesures pour lutter contre le racisme et ses conséquences. Dans le même temps, les iniquités de santé et dans les soins sur des critères raciaux se poursuivent4>Bodenmann P. et al., 2020..

Le racisme est sournois dans le milieu médical. Selon A. Rimmer, cité dans l’article de la Revue médicale suisse, il prend la forme de micro-agression contre des patients, mais aussi contre des cliniciens issus de minorités visibles. La micro-agression se définit comme un incident de discrimination direct, indirect, subtil ou involontaire contre un groupe marginalisé ou un individu de ce groupe. L’auteur insiste sur la constance de ces micro-agressions pouvant conduire à la détérioration du bien-être et de la résilience de la victime5>Ibid.. (Lire également ci-dessous).

A mon sens, il est important de baliser le contexte administratif pour égaliser les chances d’accès aux soins de santé pour chacun, quelle que soit sa situation. Pour ce faire, il faut donner les meilleurs outils légaux et culturels aux médecins, afin qu’ils exercent leur travail en toute indépendance pour soigner n’importe quel patient. Afin que triomphent les droits humains.

A propos de micro-agressions

Les micro-agressions dans le milieu médical font écho à une situation que j’ai vécue personnellement en Espagne et en Suisse. En 2013, je suis en Espagne. Des malaises me malmènent. Je prends rendez-vous avec un médecin d’une association militante pour l’accès aux soins de santé des migrant-e-s. La dame me reçoit dans un grand hôpital de Valencia. Lors de mon auscultation, je dis que j’ai aussi maigri. La doctoresse s’en étonne. Presque un déni. Elle argue que c’est impossible. D’après elle, je suis mieux en Espagne où c’est plus facile de manger trois fois par jour. Sous-entendant que mon exil est économique. Ce qui est une offense morale par rapport à mes maux.

La position de la doctoresse est expliquée en quelques lignes dans mon livre Ailleurs6>A. T. Mabiala, Ailleurs, loin, très loin de chez soi, sous d’autres cieux qui ne sont pas les nôtres, 5 sens Editions, Genève, 2019, p. 110.. J’y ai écrit que l’imagerie publicitaire servie aux européens par les organisations internationales pour les pousser à la charité peut être nuisible. Souvent ce sont des images misérabilistes tissant des raisonnements inconscients. Même une forme de condescendance impensée où elles peuvent susciter le contraire de la charité et de la solidarité recherchées.

En 2015, je me rends à l’unité de soins aux migrant-e-s, à Lausanne. Je le fais de mon propre chef car j’ai le corps qui me pose quelques soucis. Deux infirmières me prennent en charge. Je leur explique que j’ai des douleurs musculaires, une forte sensation de chaleur sur la plante des pieds, un mal régulier des os et des irruptions cutanées. Elles font quelques prélèvements et me vaccinent le même jour. Quelques jours après, je suis convoqué à l’unité de soins. Là, une des infirmières me reçoit dans son bureau. Après les mots de bienvenue, la dame me demande de lui dire de quoi je souffre. Pour qu’elle puisse m’aider. Alors que je m’attends au résultat des prélèvements effectués. Le schéma tel que posé me choque. Surtout après avoir subi des prélèvements pour des ­examens. AMA

Notes[+]

Notre invité est journaliste et poète congolais exilé en Suisse.

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