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Un marché totalement libéralisé

Face à la décision du Conseil fédéral de modifier la Loi sur l’approvisionnement en électricité, qui vise une ouverture complète du marché, l’association Acidus émet de vives critiques.
Electricité

Le 3 avril 2020, en pleine pandémie, alors que le projet de loi est à l’étude depuis 2007, et au mépris du peuple suisse qui a refusé la libéralisation de l’électricité en 2002, le Conseil fédéral a décidé de modifier la loi sur l’approvisionnement en électricité (LapEl).1 Au vu de la brusque diminution, pendant la pandémie, de la consommation d’électricité due à la réduction des transports publics et au ralentissement économique, il n’y avait pas urgence à légiférer. De plus, depuis 2007, la Suisse et l’Union européenne négocient un accord bilatéral sur l’électricité. Alors pourquoi cette décision soudaine?

Libéralisation complète du marché, renforcement de la production décentralisée, plus grande sécurité d’approvisionnement et meilleure intégration des énergies renouvelables dans le marché de l’électricité, tels sont les objectifs de cette révision. Leur concrétisation sera-t-elle profitable aux petits consommateurs comme aux petits producteurs? Pas sûr.

La concurrence devrait amener les petits clients à comparer les prix des différents fournisseurs, incitant ces derniers à diminuer leurs prix. Or il ne peut y avoir concurrence que si tous les producteurs sont soumis aux mêmes conditions. Les règles du jeu seront faussées, dans la mesure où les gros producteurs fourniront – et fournissent déjà – un courant bon marché grâce à des méthodes discutables (courant produit à partir de sources non renouvelables, à prix bradés ou fortement subventionnés, ne tenant pas toujours compte des impacts climatiques, environnementaux et de santé publique). Les petits producteurs, ne bénéficiant pas de ces avantages, risquent de souffrir de la concurrence. De plus, ce projet favorisant la concurrence et une augmentation de la production est en contradiction avec la loi sur l’énergie votée en 2017 et avec la Stratégie énergétique 2050, fondée sur la sortie du nucléaire et le développement des énergies renouvelables locales.

Le maintien des prix sera-t-il garanti? Il est permis d’en douter. La concurrence entre de nombreux opérateurs impliquera des frais élevés d’administration, de réseaux, de structures, et une multitude de réglementations et d’organes de contrôle. D’ailleurs, dans les pays européens voisins qui ont totalement libéralisé l’électricité, les tarifs pour les ménages ont souvent augmenté, de même que les frais de réseau et les taxes. En Allemagne, le prix du kWh a presque doublé en vingt ans.

Les petits producteurs d’énergie renouvelable bénéficieront de contributions d’investissement. Mais dans le domaine du solaire, celles-ci seront attribuées sur la base d’enchères. Il se peut que les petits producteurs, concurrents, ciblent uniquement les investissements les plus rentables. De plus, ces derniers risquent d’être écartés lors de l’adjudication à celui qui produit à moindre coût. Les fournisseurs d’énergie solaire pourront-ils choisir à qui vendre leur surplus? En outre, quelles chances auront-ils de le vendre lors d’appels d’offre pendant les mois d’hiver?

Pour bénéficier de subventions, les petits fournisseurs se voient imposer des dates limites. Or le projet ne dit pas que ces subventions seront augmentées, alors qu’il prévoit de doubler les subventions pour la construction de nouvelles grandes centrales hydroélectriques, sans donner de délai. On ignore si ces subventions pour les grandes centrales feront partie des 215 millions de francs annuels prévus pour l’incitation à remanier notre système électrique. Si tel est le cas, que restera-t-il pour les petits producteurs?

Si, à terme, le marché de l’électricité s’ouvre aux compagnies étrangères, ce qui est fortement souhaité par la droite comme par l’Union européenne, ces compagnies s’installeront en Suisse ou, au moins, bénéficieront du réseau helvétique de distribution, bénéficiant de tout le système sans avoir à assumer les frais de réseau – cela s’est passé avec les opérateurs télécoms. Quid, alors, de la production suisse?

A quoi servira cette réforme? A qui profiteront les bénéfices – aux financiers, petits consommateurs, petits producteurs, moyennes entreprises? Les grands producteurs d’énergie, de même que les grands consommateurs, semblent bien en être les principaux bénéficiaires. C’est pourquoi Acidus ne soutient pas la révision législative telle que proposée maintenant et invite les personnes et les associations consultées à se prononcer dans le sens de la défense du service public.

 

* Pour Acidus, association citoyenne pour la défense des usagers du service public, www.acidus.ch

Opinions Agora Nicole Matthey Kalogiannidis Electricité

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