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Violence en Ituri, une crise oubliée

Au cours des deux derniers mois, la recrudescence de la violence dans la province de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC, a entraîné une nouvelle vague de déplacements forcés. 1,2 million de personnes vivent actuellement dans des camps ou des abris de fortune. Alex Wade, de Médecins sans frontières, témoigne de leurs désastreuses conditions de vie.
République démocratique du Congo

La République démocratique du Congo (RDC) est en proie à deux maladies mortelles, Ebola et la Covid-19 selon ce que l’on peut lire et entendre dans les médias. Cependant, une crise plus ancienne et persistante rythme le quotidien des populations à l’extrême nord-est du pays, celle des conflits armés. La violence actuelle dans la province de l’Ituri trouve ses racines dans un conflit interethnique de longue date. Entre 1999 et 2003, les sanglants affrontements ont causé la mort de quelque 50 000 personnes. En 2006, le conflit s’est néanmoins considérablement apaisé lorsque des pourparlers de désarmement ont commencé. Mais dix ans plus tard, la guerre a repris et ne s’est plus arrêtée depuis.

J’ai été, et je suis, un témoin direct de l’impact de ce conflit depuis mon arrivée en Ituri en novembre 2019, où je coordonne les programmes médicaux mis en place par MSF en réponse aux flambées de violence et à leurs conséquences. Une fois de plus, les populations civiles sont mêlées malgré elles aux affrontements. Une fois de plus, elles en paient le prix fort.

La première fois que j’ai traversé les camps de Nizi, un district sanitaire de l’Ituri comptant plus de vingt sites de personnes déplacées, j’ai eu du mal à concevoir que certains étaient déjà là depuis deux ans. Dans la plupart de ces campements, les conditions de vie sont désastreuses. Des familles entières partagent des abris exigus. L’accès à l’eau potable et aux sanitaires est loin des standards minimums internationaux. Dans plusieurs camps, les latrines sont inaccessibles. Les distributions de biens de première nécessité comme les moustiquaires sont irrégulières voire inexistantes, laissant une grande partie de la population exposée au paludisme durant la haute saison.

Nous n’avons réalisé l’ampleur de cette crise que grâce à l’enquête de mortalité que nous avions menée en décembre 2019 et qui a révélé un taux de mortalité trois fois supérieur au seuil d’urgence chez les moins de 5 ans nouvellement arrivés. MSF a alors procédé à des distributions massives de moustiquaires, intensifié les activités d’assainissement et d’hygiène, construit des latrines et des douches et aménagé des sources d’eau pour augmenter l’accès à l’eau potable. Malgré ces efforts, l’hygiène dans les camps est toujours en dessous des normes acceptables.

Drodro, une ville enclavée entre vallées et collines verdoyantes, est le théâtre de violence et de souffrances extrêmes. Nous y travaillons dans l’unité pédiatrique de l’hôpital de district et gérons des activités chirurgicales qui permettent notamment de stabiliser les blessés de guerre. Drodro est un point sensible où ont lieu les affrontements entre les groupes armés et l’armée congolaise. Après l’échec des pourparlers sur le désarmement en février dernier, une recrudescence de violence a poussé plus de 200’000 personnes à fuir au cours des deux derniers mois. De nouvelles vagues de déplacés sont arrivées dans les camps, mettant à rude épreuve leurs ressources déjà très sollicitées.

Nous sommes également présents à Wadda, un village à 12 kilomètres à l’ouest de Drodro, où MSF soutient un centre de santé. Le 2 mai, la guerre est arrivée. Elle a laissé dans son sillage plus de 200 maisons brûlées, et le centre de santé que nous soutenions complètement saccagé. Malheureusement, ce n’était pas la première structure de santé à être visée. En mai, la presse locale a rapporté qu’au moins quatre autres structures sanitaires avaient été attaquées dans un district voisin. Wadda est maintenant désertée, toute la population a fui. Comme beaucoup d’autres déplacés, la population de Wadda n’a pas voulu se regrouper dans des camps, de peur de devenir une cible facile lors de futures attaques.

«Ils nous ont attaqués en pleine journée. Nous nous sommes enfuis dans la brousse avec nos familles, raconte Nojilo Laki Emmanuel, le chef de la communauté de Wadda. Puis ils ont attaqué à nouveau une semaine plus tard. Depuis, nous dormons dans la brousse, sans nourriture, sans abri et exposés à tous les dangers de la nature pendant la saison des pluies qui approche. Nous ne pouvons pas retourner à Wadda. Nos maisons ont brûlé.»

Nous avons pu retrouver au moins une partie de celles et ceux qui se cachaient. Nous avons mis en place des cliniques mobiles et commencé à soutenir le centre de santé de Bodo, situé à proximité. Il n’a jamais été aussi urgent d’atteindre les normes internationales en matière d’accès à l’eau et d’hygiène. Mais si le Covid-19 absorbe toute notre attention, comme Ebola l’a fait avant lui, alors cette crise demeurera aussi invisible que durable, et les habitants de l’Ituri resteront des oubliés.

Notre invité est chef de mission MSF en Ituri.

Opinions Agora Alex Wade République démocratique du Congo

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