Vaud

Le Régional s’éteint

L’hebdomadaire veveysan est la première victime du coronavirus dans la presse écrite.
Le Régional s’éteint
Journal gratuit distribué par un service privé, Le Régional ne pouvait pas bénéficier de l’aide de la Confédération. KEYSTONE/Jean-Christophe Bott
Presse

 Le Régional dépose son bilan. Le journal veveysan connaissait déjà des difficultés financières, mais le Covid-19 aura eu sa peau (notre édition de jeudi). Il doit tirer la prise alors qu’il allait fêter cette année ses vingt-cinq ans d’existence, à quelques éditions de son 1000e numéro.

Jeudi, l’équipe faisait ses cartons dans ses bureaux situés au croisement des rues du Clos et du Panorama à Vevey. «On trie nos documents car nous devons rapidement quitter les locaux. Ils seront sous scellés bientôt», commente le journaliste Amit Juillard. L’arrêt est immédiat. Plus aucune nouvelle parution n’est prévue, pas même une édition pour un adieu à son lectorat: le journal n’a pas les moyens financiers d’assumer une édition entière. Le bilan sera déposé officiellement le 12 mai, une décision «définitive, à moins d’un miracle», relève la directrice et rédactrice en chef, Stéphanie Simon.

La vingtaine de collaborateurs, déjà au chômage partiel, perdent leur emploi. L’annonce leur a été faite mardi par vidéoconférence.

Le Covid-19, accélérateur de faillite

Les problèmes de liquidités du journal étaient antérieurs à l’arrivée du coronavirus. Mais c’est bien cette crise sanitaire qui aura coulé le journal avec l’effondrement de toutes ses recettes publicitaires. Le Régional, hebdomadaire gratuit, tiré à 127 000 exemplaires et touchant 102 000 lecteurs, vivait uniquement grâce aux revenus de la publicité injectée par les entreprises locales.

En novembre, l’hebdomadaire s’était trouvé un partenaire, le groupe ESH Médias, pour surmonter ses difficultés financières. Les négociations étaient à bout touchant, mais tout a été stoppé avec l’arrivée du Covid-19. Le confinement et l’arrêt des activités économiques ont provoqué un effondrement publicitaire jusqu’à une perte de 80% d’annonces suivant l’édition. «Si cette chute touche tous les titres, il est surtout fatal aux plus petits.»

Communes sourdes

Aucune des solutions très vite envisagées n’a pu être mise en œuvre. L’équipe était prête à passer à une formule payante avec un tirage réduit, tout en gardant quelques éditions en tous-ménages. Mais la transition d’un modèle à un autre aurait demandé des moyens, tant humains que financiers, que le titre ne possède pas. La direction n’était pas non plus contre un rachat du journal, mais aucune n’offre ne lui est parvenue.

Le Régional déplore surtout l’absence d’aide de la part des communes alors qu’elle couvrait un territoire allant de l’est de Lausanne jusqu’aux portes de St-Maurice. «Cela fait longtemps qu’on leur propose de prendre des pages annonces, de payer des forfaits ou de verser un montant par habitant, mais elles sont toujours restées sourdes à nos demandes», détaille Stéphanie Simon. La municipalité de Vevey avait amorcé une aide avec la publication de quatre pages communales par année. Un début d’espoir pour le journal avant que le conseil communal y mette son veto. «Les élus voyaient cela comme un outil de propagande de l’exécutif. Pourtant les journaux comme La Côte et Lausanne Cités diffusent des infos communales. Les feuillets se distinguent avec un format et une couleur différenciée et cela permet aux lecteurs de voir qu’il s’agit d’un contenu fourni par les autorités locales», argumente la directrice.

«La disparition du journal est une perte pour la démocratie» Amit Juillard

Le Régional n’aurait pas pu bénéficier de l’aide de la Confédération, étant un journal gratuit distribué par un service privé. Et l’aide annoncée par le canton début janvier, qui doit encore être avalisée par le parlement, ne se serait pas avérée suffisante pour assurer la survie du titre.

«Nos pouvoirs publics sont dans une logique néolibérale et les aides indirectes sont trop faibles. L’économie locale qui – de fait – soutient la presse est touchée par la crise et ne peut plus maintenir l’effort, analyse le localier Amit Juillard. Quant aux collectivités publiques, elles baissent les impôts sur les bénéfices des grosses entreprises à coup de réforme de l’imposition des entreprises sans que les PME n’en profitent. Ces grosses cylindrées qui s’engraissent ne créent pas les emplois promis, délocalisent les postes et n’injectent pas d’argent dans l’économie locale et réelle. Les médias sont au bout de cette chaîne puisqu’ils vivent en grande partie de la publicité.»

Perte pour la démocratie

Le journaliste rappelle le rôle primordial de la presse locale: «La disparition du journal est une perte pour la démocratie.» Stéphanie Simon abonde: «La diversité dans notre canton tend à disparaître, les journaux sont obligés de s’associer, de réutiliser les mêmes articles, de fusionner les rubriques. Sans diversité, la démocratie ne tient pas.» «Nous ne sommes pas qu’un simple support publicitaire. Nous faisons des enquêtes, des analyses et des décryptages», rappelle Amit Juillard.

Le Régional s’est distingué à plusieurs reprises. Le rédacteur en chef adjoint, Serge Noyer, a reçu un prix de la Berner Zeitung pour son enquête sur une affaire de corruption touchant à la municipalité de Montreux. Le journaliste Amit Juillard a lui aussi reçu des récompenses, dont le prix Suva des médias 2019 avec son enquête sur Philip Morris ainsi que le 2e prix de meilleur jeune journaliste 2020 du Centre de formation au journalisme et aux médias.

Autorités prises à partie

Les syndicats déplorent la faillite du titre. «Il est urgent que les collectivités publiques soutiennent leurs médias régionaux par des abonnements, des publications ou d’autres formes d’aides, dans le respect stricte de l’indépendance journalistique et de la diversité des opinions», écrit dans un communiqué Syndicom. Quant à l’association professionnelle des journalistes Impressum, elle affirme qu’«il est temps que les autorités prennent la mesure de l’importance de la presse pour la démocratie». SKN

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