On nous écrit

Vous avez dit démocratie?

Pierre Aguet livre une réflexion sur notre démocratie.
Politique

Gilles m’écrivait en 1971: «… La mutation dans laquelle le monde est engagé remet tout en cause… face à la sourde violence du capitalisme… qui tient tout, jusqu’aux gouvernements, par le pouvoir invincible de l’argent.»

Dans L’Essor d’avril 2020. Emilie Salamin-Amar et Marc Gabriel rappellent: «Nous sommes incapables de répondre aux urgences climatiques, de faire cesser les drames syriens, libyens et autres Darfour, laissant piller les richesses d’une Afrique exsangue, incapables de nous occuper des malheureux migrants, incapables de résoudre nos problèmes de santé publique, de contraindre le commerce international à l’éthique, de considérer l’humain avant la finance, incapables de glorifier la paix avant la guerre, de garantir les libertés civiles, de supporter les oppositions, incapables de protéger les faibles, de débusquer les corruptions les plus scandaleuses, d’empêcher les dérives communautaires, identitaires et même scientifiques, incapables de garantir la sécurité des femmes, d’instaurer l’égalité salariale, de tenir les promesses de retraites décentes, incapables de maîtriser la montée du fascisme, de la xénophobie et du racisme, incapables enfin de résister aux multinationales qui calculent, le plus sereinement du monde, leur optimisation fiscale en toute légalité.»

Certainement nous nous berçons d’illusion, croyant vivre dans une démocratie encore meilleure que celles de nos voisins. Nous la qualifions de démocratie directe.

Et ces voisins se moquent de nous. Ce bon peuple suisse refuse de sortir 10% des logements nouveaux de la spéculation, il refuse de créer une législation pour ses banques, il refuse une semaine supplémentaire de vacances, il refuse de renforcer sa sécurité sociale ou son assurance-maladie au profit des institutions financières privées, il refuse de contrôler la provenance des millions qui préparent l’opinion publique à ces décisions… étonnantes.

Il est temps d’analyser le réel fonctionnement des nos démocraties dévoyées. Pensez aux milliards nécessaires à l’élection d’un président des Etats-Unis. Rappelez-vous la prise de contrôle du PAI (Parti des Paysans, Artisans et Indépendants) par un multimilliardaire. Il en a fait la machine de guerre que l’on connaît sous le nom de UDC. Elément très nouveau: l’utilisation politique de toutes les données personnelles contenues dans les «fichiers électroniques» des GAFAM. Une partie des réponses se trouve dans l’analyse de la naissance de nos démocraties où l’idéologie «propriétariste» a joué un rôle déterminant. Au XVIIIe et au XIXe siècle, se sont confirmées des inégalités crasses dont nous ne sommes jamais sortis. La sacralisation de la propriété privée à l’occasion de ces grands bouleversements historiques n’a été remise en cause que par certains efforts sociaux-démocrates attachés à une société plus égalitaire ou par l’expérience soviétique. A cause des concentrations récentes, nos démocraties ne fonctionnent plus.

Pierre Aguet,
Vevey (VD)

 

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