La LAMal, piège à dette
Un fardeau, l’assurance-maladie? Pour un grand nombre de contribuables, les primes de base pèsent lourdement dans le budget mensuel et peuvent même conduire à l’endettement. C’est ce qui est arrivé à Jean-Daniel*. Avec quatre enfants encore à charge et un revenu mensuel unique de 5000 francs pour le ménage, ce retraité genevois a pris du retard sur le paiement de ses primes à l’assurance-maladie Groupe Mutuel.
«C’est le passage à la retraite, il y a deux ans, et l’accumulation de petits frais liés à la nourriture où aux études de mes enfants qui m’ont poussé à ne plus payer mes primes d’assurance», assure Jean-Daniel. A cela se sont ajoutés des frais médicaux importants en 2019.
Deux fois plus en dix ans
Des causes d’endettement courantes, à en croire Sébastien Mercier, secrétaire général de Dettes Conseils Suisse: «Le passage à la retraite peut être un point de bascule, observe-t-il. Les problèmes de santé, eux, sont à l’origine de près d’un quart des dossiers d’endettement. Ces dépenses, couplées à l’augmentation annuelle des primes, ont pour résultat la croissance du nombre de personnes n’arrivant pas à régler leurs factures liées à la loi sur l’assurance-maladie (LAMal).»
« L’assurance maladie est, en Suisse, le deuxième créancier après les impôts »
Sébastien Mercier
Selon Caritas, le montant des factures d’assurance-maladie impayées a plus que doublé au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, environ deux tiers des personnes consultant un service de désendettement auraient des arriérés en lien avec la LAMal. De fait, «l’assurance-maladie est, en Suisse, le deuxième créancier rencontré après les impôts», complète Sébastien Mercier.
Le secrétaire général de Dettes Conseils Suisse estime que le nombre de personnes qui décident simplement de ne pas payer leurs primes est tout à fait exceptionnel. «De nombreux ménages vivent à flux tendu, éclaire-t-il. Lorsqu’un évènement vient apporter un déséquilibre, ils n’arrivent plus à payer l’entier de leurs engagements réguliers et/ou à long terme. C’est typiquement le cas des crédits.» Alors ils jonglent avec les factures et peuvent être saisis.
Impact du Covid-19
«Les dettes LAMal touchent toute la population», observe Rausan Noori, conseillère juridique au service Dettes conseils de Caritas. «Bien entendu, les catégories sociales plus à risque (personne seule avec enfant, personne ayant perdu un emploi, retraités, etc.) ont également plus de dettes d’assurance-maladie.» Et le contexte actuel n’arrange rien. Sébastien Mercier estime en effet qu’en raison du coronavirus, «environ 2 millions de suisses ont fait, aujourd’hui, un pas de plus en direction des sables mouvants du surendettement».
Jean-Daniel, pour sa part, a accumulé 7236 francs d’arriérés. Fin février dernier, il a été convoqué par l’Office des poursuites de son canton, qui lui a annoncé la saisie d’une partie de son deuxième pilier. Pris à la gorge financièrement, il a demandé à son assurance-maladie un arrangement de paiement des primes en retard et la suspension des poursuites. «L’arrangement a été accepté, mais pas l’arrêt des poursuites, explique-t-il. Le Groupe Mutuel a d’abord refusé, estimant que ce n’était pas son problème.» Contactée par La Liberté, l’assurance a indiqué que «pour des raisons de protection des données», elle ne faisait «aucun commentaire sur des cas particuliers».
Le retraité genevois aurait donc dû payer ses primes courantes, l’arrangement de paiement, et subir en plus la saisie de son 2e pilier. Le tout représentant une somme mensuelle de 3500 francs. «C’est comme un cercle vicieux, ne pouvant m’acquitter de ce montant, j’allais continuer à m’endetter et rester aux poursuites», déplore-t-il avec colère et désarroi.
Payer les primes courantes
Que faire une fois dans une telle situation? «Il faut s’adresser à un service de désendettement à but non lucratif pour mettre les choses à plat, conseille le secrétaire général de Dettes Conseils Suisse. Ensuite, il est essentiel de continuer à payer les primes courantes, sans cela la dette ne fera qu’augmenter.» Seules les dépenses reconnues sont prises en compte dans le calcul du minimum existentiel retenu par l’Office des poursuites. Les primes LAMal appartiennent théoriquement à cette catégorie, mais seulement tant qu’elles sont effectivement payées.
Pour cette année, Jean-Daniel bénéficiera de subsides afin de payer ses primes. Mais, en raison de sa pension relativement élevée, il assure qu’il ne pourra pas compter sur des prestations complémentaires, seul soutien financier véritablement envisageable dans ces cas-là.
Après négociations, le retraité genevois a finalement obtenu un nouvel arrangement de paiement, à hauteur 1749 francs par mois sur 18 mois, accompagné de la suspension des saisies de son 2e pilier. A entendre Rausan Noori, Jean-Daniel peut s’estimer chanceux: «Il s’agit d’un très bon arrangement qui arrive rarement.» LA LIBERTÉ
*Prénom d’emprunt
«à l’avantage des caisses»
Les cantons compensent 85% du manque à gagner des assurances-maladie en raison des mauvais payeurs. Un système qui avantage les caisses, estime la FRC.
Depuis 2012, en cas de défaut de biens, les cantons paient aux caisses d’assurance 85% des factures LAMal impayées. «En 2017, les cantons ont versé aux assureurs un total de 346,5 millions de francs pour les sinistres en suspens», informe Yannis Papadaniel, responsable santé à la Fédération romande des consommateurs (FRC). Une fois le passif récupéré, les assureurs ne remboursent au canton que le 50% du montant perçu, la différence étant censée couvrir les frais liés aux procédures.
Pour le responsable de la FRC, «le système est trop avantageux pour les assureurs.» Un avis que partage Rausan Noori, conseillère juridique au service Dettes conseil de Caritas: «En pratique, les arriérés liés à l’assurance maladie obligatoire sont une des seules dettes qui sont remboursées à plus de 100% grâce à ce mécanisme.»
Une initiative parlementaire visant à donner aux cantons la possibilité de récupérer eux-mêmes les primes d’assurance-maladie impayées a été déposée en 2019. La ville de Zurich a aussi lancé trois projets pilotes l’an dernier pour réduire le nombre de poursuites liées à la LAMal. Les résultats devraient être communiqués cette année.
Interrogé à ce sujet, Groupe Mutuel assure que pour sa part, les «pertes sèches» liées aux actes de défauts de biens ont été de l’ordre de 40 millions en 2019. «Nous ne nous enrichissons donc pas avec cette pratique», insiste-t-elle. «C’est plutôt le contraire, sans parler du travail supplémentaire et des charges administratives.» Pour les clients «particulièrement insolvables», l’assureur indique qu’à compter de 2020, il n’effectuera plus qu’une seule mise en poursuite par année (contre une par trimestre habituellement). «Cela permettra aux cantons d’économiser environ 4 millions de francs, et pour nous de réduire de 14% nos mises en poursuite et ainsi nos coûts administratifs.» MB/LIB