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Construire une Inspection du travail digne de ce nom

Interpelé par le manque de contrôles relatifs à la protection des travailleurs-euses dans le contexte de l’actuelle pandémie, le syndicaliste Laurent Tettamanti plaide pour une augmentation des moyens – humains et financiers – alloués aux inspections cantonales du travail et pour le renforcement des mesures répressives «contre les patrons voyous».
Santé au travail

L’Etat peut décider – ou non – de se donner les moyens d’une politique efficace. Quand il veut, il peut. Prenons d’abord l’exemple trivial du stationnement des véhicules. Depuis des années, les cantons et communes ont mis en place un véritable arsenal réglementaire et répressif digne d’un Etat autoritaire, créant de pléthoriques bataillons d’agents arpentant avec zèle la moindre ruelle, et toute une bureaucratie envoyant des millions d’amendes d’ordre et d’ordonnances pénales.

L’intelligence artificielle est même désormais appelée en renfort avec des caméras embarquées ne ratant aucun «abus»… Vous dépassez de quelques minutes le temps de stationnement autorisé en zone bleue? Paf! 40 francs dans les essuie-glaces, sans aucun avertissement. Vous rechignez à payer? Les poursuites tombent, sans la moindre clémence. Et cela même si c’est la faute d’amis ou de parents qui vous ont servi un café de trop durant une visite de courtoisie.

Laxisme et impunité

Prenons maintenant le cas d’actualité – Covid-19 oblige – de la santé au travail, et plus largement du respect des lois protégeant les travailleurs-ses. Là c’est le laxisme et l’impunité qui règnent. Dans le canton de Vaud, l’Inspection du travail compte 23 agents, nombre qui devrait être multiplié par cinq pour satisfaire aux normes de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Contrairement au zones de chasse bleues, la plupart des infractions ne sont pas constatées puisque seulement 3% des entreprises vaudoises sont contrôlées (1,7% en moyenne suisse). Manque de chance, une entreprise est prise la main dans le sac? Elle est le plus souvent avertie et invitée à «prendre des mesures». Faute de bonne volonté patronale, des sanctions sont enfin prononcées, qui mettront parfois des années à devenir exécutoires vu que les possibilités de gagner du temps et de faire recours sont légion. Entretemps, une faillite bien orchestrée peut définitivement clore l’affaire.

« Chair à canon »

Lorsque l’on parle d’ergonomie au travail ou même de dumping salarial, d’aucuns diront qu’il n’y a pas mort d’homme. Mais lorsque nous devons faire face à une épidémie comme celle du Covid-19, cette incurie prend une tournure dramatique. Le mois dernier, des normes strictes ont été fixées par nos autorités pour limiter la propagation du virus: l’hypocrisie a alors atteint des sommets. L’Inspection du travail et ses maigres supplétifs (Suva, Contrôle paritaire des chantiers) ont été complètement débordés, appelant à la rescousse, après une semaine de flottement complet, la police du commerce et la gendarmerie, elles-mêmes surchargées et incompétentes en la matière. Au final, la majorité des travailleurs-ses se sont retrouvés livrés à eux-mêmes face à un danger omniprésent, transformés en «chair à canon», pour reprendre le vocabulaire martial en vogue chez nos gouvernants.

Il est grand temps de construire une Inspection du travail digne de ce nom et ayant les moyens d’accomplir son importante mission. Cela passe par une augmentation de ses moyens humains et financiers, mais aussi par un renforcement de l’arsenal répressif contre les patrons voyous, dans l’intérêt des travailleurs-ses, mais aussi des chefs d’entreprises honnêtes et soucieux de la santé de leurs employé-e-s. En conclusion: des postes de travail sûrs pour les prolétaires valent plus que des places de parkings libres pour les affaires!

* Secrétaire syndical, Association romande des travailleurs-ses de l’installation électrique (ART-IE).

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