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Assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire de la population

Une vingtaine de signataires issus des milieux agricole, associatif, politique, syndical et académique, proposent des pistes pour «redonner ses bases et son sens» à l’agriculture.
Suisse

Le 26 mars 2020, Maximo Torero, l’économiste en chef de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) annonçait que des pénuries alimentaires pourraient survenir dans les prochaines semaines, en conséquence de la crise du Covid-19. Les mesures protectionnistes, les récoltes moins abondantes dues à la sécheresse dans de nombreux endroits du monde et le manque de main-d’œuvre pourraient mettre à mal les approvisionnements alimentaires et créer une forte inflation des denrées de première nécessité de notre alimentation.

Cette crise sanitaire, qui met en lumière le manque de résilience de nos systèmes alimentaires, n’est que la pointe de l’iceberg de la crise bien plus profonde et bien plus longue qui ébranle notre système: détérioration des sols depuis des années, utilisation excessive de produits phytosanitaires, monocultures, manque de soutien aux agriculteurs dont le nombre a diminué de moitié au cours des quarante dernières années. Une crise alimentaire semble aussi inévitable que la crise sanitaire à laquelle nous faisons face. Soyons-y préparé-e-s, agissons maintenant!

Depuis de nombreuses années, nous avons mis en place un modèle d’agriculture artificiel, industriel et dépendant des énergies fossiles, gourmand en eau et qui ne tient que peu compte des rythmes biologiques et des besoins de régénération des sols. Notre système alimentaire est très peu résilient et n’est pas en mesure de résister aux chocs tels que les changements climatiques, les maladies, des crises géopolitiques ou les pénuries de ressources dont il s’est rendu dépendant, à l’image du phosphore.

La crise du Covid-19, qui met en lumière cette vulnérabilité, nous offre l’opportunité de repenser la transition vers des systèmes alimentaires résistants aux chocs et capables de nourrir notre population, localement, avec un impact minimal sur l’environnement et les écosystèmes. Une étude de l’Agroscope menée en 2018 montrait que la Suisse pourrait être auto-suffisante, moyennant quelques aménagements dans notre régime alimentaire (moins de produits carnés et moins d’alcool). Il serait plus modeste, mais cependant largement suffisant et beaucoup plus sain que notre régime actuel.

En 2018, le peuple a refusé l’initiative pour la souveraineté alimentaire qui proposait de s’engager pour une alimentation saine et de proximité, une rémunération juste des personnes qui nous nourrissent et une diversité dans la taille des fermes qui sont en majorité, à ce jour, de grandes exploitations. Nous voyons aujourd’hui à quel point c’est important et nous avons l’occasion de nous reposer ces questions sans plus tarder.

Cette crise a déjà permis aux citoyens de demander plus de circuits courts, d’apporter du soutien aux agriculteurs locaux; des villes se sont également organisées pour les mettre en avant et réouvrir en partie les marchés; continuons sur cette lignée!

Nous proposons de convoquer au plus vite des assemblées citoyennes, par échanges électroniques et visioconférences dans un premier temps, dans chaque région et chaque bassin de vie. Ceci dans le but de remailler notre territoire avec des productions diversifiées, à proximité et au service des populations, et avec leur aide. Ceci afin de pouvoir soutenir les agriculteurs actuels en main-d’œuvre et pouvoir former de nouvelles et nouveaux citoyens aux métiers de la terre.

Pour cela, nous avons besoin: d’hectares soustraits à la bétonisation et à la spéculation foncière; non de pelouses tondues qui sont nocives à la biodiversité mais de surfaces, dont certains parcs publics, qui peuvent être utilisées pour des nano-fermes d’immeubles ou de quartiers; de former des agriculteurs aux techniques de culture et d’élevage qui permettent de régénérer les sols, économiser l’eau, réduire la mécanisation, et boucler les cycles du carbone, de l’azote et du phosphore, autrement dit d’une agriculture régénératrice; d’outils de production agricole robustes, simples à fabriquer et idéalement en open source; de circuits raccourcis qui alimentent les populations et les usines de transformation, elles aussi relocalisées.

Il faudrait faire l’inventaire des ressources et des besoins sur les territoires par des concertations régionales en commençant par les communes avec la collaboration des municipalités et des associations locales: Quels sont les lieux et les ressources comestibles disponibles aujourd’hui, les moyens de stockage et de distribution? Quels sont les lieux de formation pour les futurs agriculteurs, y compris en agriculture biologique, en biodynamie, en agroécologie et en permaculture? Quelles sont les cultures et les surfaces allouées aux denrées de première nécessité? Quelles sont les surfaces à conserver des milieux naturels et d’infrastructures écologiques pour renforcer les populations et la diversité des pollinisateurs et des oiseaux prédateurs des ravageurs? Quels sont les moyens humains et matériels à mettre en œuvre dans chaque commune?

Chaque municipalité peut faire l’inventaire de son territoire avec ses citoyens, selon une grille à co-élaborer, afin de cartographier la Suisse, d’échanger et de s’entraider. Il s’agit de rendre les territoires efficients dans chaque région, en s’inspirant des meilleures solutions des uns et des autres.

La nourriture est le premier des besoins, or les systèmes alimentaires sont devenus majoritairement vulnérables et contre-productifs. L’agriculture est l’une des fonctions essentielles à la sécurité et au bien-être des communautés humaines, le moment est venu de lui redonner ses bases et son sens: c’est une question de sécurité nationale.

> Signataires:

Fernand Cuche, paysan, écologiste, politicien; Sara Gnoni, activiste, conseillère communale, présidente de ToxicFree Suisse; David Bichsel, agronome et ingénieur en environnement, président de l’association Cotyledon; Matthieu Glauser, paysan bio et président de Bio Vaud; Jean Ziegler, sociologue, politique, auteur; Matthieu Calame, membre de la Fondation pour le progrès de l’Homme; Michelle Zufferey, secrétaire permanente à Uniterre; Charles Bernard Bolay, paysan et président d’Uniterre; Gaëlle Bigler, présidente de la Fédération romande d’agriculture contractuelle de proximité; Dominique Bourg : philosophe, professeur honoraire, Université de Lausanne; Sophie Swaton, présidente de la Fondation Zoein, économiste et philosophe, Université de Lausanne; Luigi d’Andrea, docteur en biologie, permaculteur et arboriculteur; Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche, écotoxicologue, Université de Lausanne; Pablo Buono, médecin, Véronique Ançay, vigneronne en bio et en pratiques biodynamiques; Simon Noble, membre de l’association du Petit Bochet, permaculteur, décroissant et enseignant; Sylvie Bonvin-Sansonnens, maître-agricultrice, coprésidente de Bio Fribourg; Christophe Golay : membre de l’académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève; Sylvain Keller, président de l’association ESCJV, Ecoculture sociale et citoyenne en jardins vergers; Aurèle Morf, vigneron bio local; Benoit Molineaux coopérative équilibre et SPP Meyrin.

La souveraineté alimentaire est définie comme un droit international qui laisse la possibilité aux populations, aux Etats ou aux groupes d’Etats de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu’elles puissent avoir un effet négatif sur les populations d’autres pays. La sécurité alimentaire est celle qui permet à tous les êtres humains, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.

Opinions Agora Collectif Suisse

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