Déconfiner nos luttes
Boucler les centres commerciaux et autres dealers de superflu, clouer au sol EasyJet et ses oiseaux de malheur, et cela au nom de l’intérêt vital des citoyens: la crise sanitaire actuelle a le mérite de rappeler ce que la politique peut. Le bien commun est encore une boussole primordiale, capable de mobiliser une société, en dépit de la puissance des investisseurs et du chant de leurs apôtres.
Le parallèle avec la crise climatique est tentant – tant par la radicalité des mesures exigées pour sa résolution que par l’objectif humaniste. Au point que beaucoup rêvent d’un monde d’après la pandémie qui prolongerait en quelque sorte l’expérience actuelle, un monde moins pollué, moins bruyant, moins consumériste, plus localisé, plus solidaire, où l’on applaudit les soignants et les caissières plutôt que les stars de la téléréalité.
Douce illusion? C’est en tout cas oublier un peu vite qu’avant Ikea et plutôt qu’Amazon, ce sont les musées, les cafés et les théâtres que l’on a confinés en priorité. Et qu’au lieu de protéger les millions de petites mains maintenues au travail, la pression au retour des autres «à la normale» se fait déjà irrésistible.
Pas plus que le capitalisme de casino n’a été éradiqué après sa faillite de 2008, la globalisation marchande n’a pas été terrassée par un virus. A peine nous a-t-elle accordé une pause, qu’elle s’apprête à faire payer extrêmement cher. Les structures de pouvoir, les gouvernements sont les mêmes qu’il y a deux mois. Pis, le rapport de force objectif s’est détérioré: bastions du bien commun, les Etats ont déjà commencé à s’endetter pour renflouer les entreprises. Quant aux libertés publiques, elles se font la malle, oubliez les manifs, bonjour la traçabilité et le contrôle social!
Il y a une décennie, la crise des subprimes avait débouché sur la crise des dettes souveraines et sur des démantèlements sociaux massifs dans toute l’Europe. Sans une mobilisation populaire décidée, offensive, la récession à venir repoussera aux calendes grecques les espoirs d’une transition écologique juste et durable. En Suisse, les mouvements pro-climat en ont pris conscience et appellent à reprendre au plus vite le combat.
Face au défi sanitaire complexe qui nous attend, il s’agira d’être imaginatifs et novateurs, mais aussi déterminés et radicaux. La crise du Covid-19 – avec son lot d’injustices, sa mise en lumière des effets pervers de la mondialisation et des limites du discours économiste de la santé, sa remise au cœur du monde de l’Etat et de l’humain – nous offre des arguments précieux dans la lutte pour un changement de paradigme. Et probablement une opinion publique plus ouverte qu’hier. Le pire serait néanmoins de croire la voie pavée et l’attentisme suffisant. Il est plus que temps de déconfiner nos luttes.