Les parlements aux abonnés absents
Depuis le début de la pandémie, on assiste sidérés à la paralysie des institutions démocratiques. Les parlements locaux et nationaux sont mis en berne, non parce qu’il n’existe pas de moyens de les réunir, mais parce qu’il manque la volonté politique d’en envisager les modalités. Combien de temps a-t-il fallu d’ailleurs à nos exécutifs pour prendre les premières mesures visant à freiner la courbe de la propagation du virus? Beaucoup trop sans doute, même si l’heure n’est pas encore aux bilans.
La référence aux temps de guerre a poussé tous les partis représentés au Conseil national, ou presque, de l’UDC au PS, à se ranger derrière la politique du Conseil fédéral. «Un pour tous, tous pour un», récitait le communiqué interpartis diffusé le 16 mars: «Les partis politiques soutiennent en bloc et sans réserve le Conseil fédéral.» Un jour plus tôt, tous les conseillers nationaux recevaient un mail les informant que la troisième semaine de session du Conseil national serait annulée; en principe, il se réunit quatre fois par année sur trois semaines en un bloc; et cette année, une séance extraordinaire était agendée début mai.
Depuis cette communication, rien ou presque. Le parlement s’est ainsi auto-exclu de la vie politique du pays; il n’a pas jugé bon de participer à la recherche de solutions à la crise en cours, en lien avec la population, en réponse à ses besoins. Présumé contrôler le gouvernement, il n’a pas rempli son rôle, alors que les exécutifs locaux et le Conseil fédéral ont souvent opté pour une gestion autoritaire de la crise: augmentation massive et sans concertation de la durée du travail des salarié-e-s de la santé, amendes infligées à des petits regroupements dans l’espace public, géolocalisation des réfractaires, etc. Il aurait pourtant été possible de donner un espace au débat parlementaire dès la troisième semaine de session du mois de mars en permettant aux député-e-s d’être à leur poste même virtuellement pendant que les décisions se prenaient.
Le 13 mars, j’ai écrit à la présidente du Conseil national, Madame Isabelle Moret (PLR/VD), en lui demandant de trouver des solutions pour que le parlement puisse continuer à travailler et à jouer son rôle: «Les enjeux que soulève une telle période en termes de protection de l’écrasante majorité de la population et parmi eux des plus vulnérables (salarié-e-s, personnel soignant, personnes âgées, personnes migrantes, intermittents du spectacle, usagers-ères des transports publics…) nécessitent la tenue d’un débat démocratique le plus large et ouvert possible.» Elle n’a pas jugé nécessaire de me répondre.
Le dimanche 29 mars, elle annonçait la tenue d’une session extraordinaire en mai, aux mêmes dates ou presque que celle déjà prévue. A cette session, les député-e-s les plus vulnérables sont priés de rester chez eux (combien sont-ils-elles? Nul ne le sait). Démontrant au mieux une incompréhension de la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons, et au pire des responsabilités qui incombent au parlement, elle commentait: «Le fait que des parlementaires puissent être malades ou accidentés n’est pas nouveau. A chaque session, certaines personnes sont excusées.». En Suisse rien de nouveau….
Tout se passe comme si les injonctions à se débarrasser des «lourdeurs» et des «lenteurs» de la «démocratie» trouvaient dans cette crise sanitaire inédite les moyens de s’incarner avec la bénédiction des parlementaires. Déjà que le droit de réunion et de manifestation ont dû être mis en veille, de même que les instruments de la démocratie semi-directe en Suisse, prenons garde à ce que COVID-19 ne conduise pas à la glorification de l’Etat fort, non pas de ses services publics et de ses assurances sociales, mais de compétences gouvernementales accrues pour penser et agir en lieu et place des citoyen-ne-s, de leurs associations, de leurs syndicats et de l’ensemble de leurs élu-e-s.
Notre invitée est conseillère nationale, Ensemble à gauche/GE.