Édito

Crypto-fascisme

Crypto-fascisme
Entre les polices politiques d'Amérique latine, la coordination de la répression transitait par des machines de Crypto AG, rebaptisées «le Condortel». KEYSTONE
Suisse

L’affaire Crypto AG, du nom de cette société ayant opéré durant un demi-siècle depuis Zoug au profit de la CIA, n’étonne que par son ampleur et sa durée. Que la Suisse et sa neutralité de façade soient subordonnées à la raison d’Etat américaine, on le constate au moins depuis la guerre froide. Révélées à la fin du siècle dernier, les organisations helvétiques secrètes P26 et P27 ont ainsi permis à l’armée et à l’establishment politique – le même qui a couvert Crypto – de collaborer avec l’OTAN en toute hypocrisie. Une alliance transatlantique qui ne s’est pas démentie depuis.

Si elle ne surprend guère, l’affaire Crypto (ou Rubicon, selon son dernier nom de code) met quand même en lumière une certaine conception suisse de la neutralité. Des documents tirés des archives de la NSA, exhumés il y a quelques jours par le Washington Post, montrent ainsi que les outils de cryptage vendus par l’entreprise zougoise ont notamment servi à la traque des opposants aux dictatures sud-américaines dès 1973, en particulier au travers du fameux «Plan Condor». Entre polices politiques (Argentine, Brésil, Bolivie, Chili, Paraguay et Uruguay), la coordination des surveillances et des opérations de répression transitait par les machines CX-52s puis H-4605 de Crypto AG, rebaptisées «le Condortel»… La chasse orchestrée avec le soutien des Etats-Unis coûtera la vie à plusieurs dizaines de milliers de militants de gauche. On sait désormais que Washington pouvait suivre chaque enlèvement, torture et disparition en direct grâce aux produits made in Switzerland. Un scénario sans doute identique à celui du génocide des communistes de l’Indonésie, autre pays client de Crypto AG.

Pour Berne, dont le Post assure qu’elle était informée des menées de la CIA, l’opération Rubicon ne présentait que des avantages: outre la publicité en termes d’excellence technologique, la Confédération maintenait une neutralité de façade mais favorisait concrètement des régimes conformes aux intérêts économiques de ses élites. Le tout sans se salir les mains. Enfin ça… l’histoire en jugera.

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