Le mot de la traductrice

Choix du vocabulaire, rythme, ponctuation, Sarah Widmer évoque à l’aide d’exemples précis les défis posés par la traduction de Wild wie die Wellen des Meeres d’Anna Stern. Car l’écriture reflète la manière dont Ava, sa protagoniste, perçoit le monde.
Le mot de la traductrice 2

Les chapitres 7 et 8 de Wild wie die Wellen des Meeres apparaissent d’emblée comme des ambassadeurs pertinents de l’ensemble du roman d’Anna Stern. Dans ces deux chapitres, les mécanismes du récit ainsi que le caractère d’Ava, figure principale, sont mis en avant.

Dans le chapitre 7, nous découvrons la relation compliquée qu’Ava entretient avec Paul Faber. Dès le début, nous constatons que le choix du vocabulaire est important pour comprendre la tension entre les deux personnages: ils «jouent» (en allemand: «spielen») à être en couple. Il semble déterminant de garder en français cette notion de jeu qui marque toute l’ambiguïté de cette relation. Les deux protagonistes ne sont pas dans l’imitation, ils ne cherchent pas vraiment à tromper les autres, mais plutôt à trouver leurs propres règles dans leur vie de couple. Cela se reflète notamment dans le contraste entre le choix initial d’occuper chacun à leur tour le canapé-lit et la conclusion du chapitre: «Sie schlafen miteinander, sie schlafen miteinander ein». «Schlafen» suppose ici l’acte sexuel, d’où le choix du verbe «coucher» en français. Cependant, dès la virgule, le ton change et l’attirance sexuelle se transforme en tendre proximité: Paul et Ava «s’endorment» ensemble. Nous prenons alors conscience de la complexité du lien qui existe entre ces deux personnages.

Celle-ci est développée tout au long du roman, cette phrase emblématique réapparaissant d’ailleurs en conclusion d’autres chapitres. Dès lors, il est important de lui trouver une équivalence française adéquate et de garder bien visible la répétition du «miteinander» qui est devenu «ensemble» en français. Par ailleurs, en allemand, l’emploi du mot «Chaiselongue», à connotation un peu élégante, semble annoncer que ce «canapé-lit» n’est pas si anodin. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de mot français contenant cette légère nuance. Ces exemples illustrent la difficulté du choix du vocabulaire. En raison des nombreux dialogues et de l’ancrage du texte dans le quotidien d’Ava, le registre commun est dominant, mais les mots sont le reflet de la façon dont la jeune fille perçoit le monde et s’interroge. L’histoire évolue au gré de ses impressions et de son vécu. À ce sujet, il convient de relever que l’anglais a été conservé dans la majorité des cas pour garder cet ancrage dans la tête du personnage principal et conserver ainsi l’authenticité de ses échanges.

Par ailleurs, il faut souligner que chaque chapitre successif correspond à une temporalité différente dans la vie d’Ava. Alors que dans le chapitre 7 sont évoqués des évènements passés, le chapitre 8 nous plonge dans le présent du personnage et sa fuite en Ecosse. Cette double temporalité est essentielle pour la compréhension de la trame romanesque, mais ne représente pas de difficultés particulières pour l’exercice de traduction, car tous les chapitres sont rédigés au présent. La difficulté dans le choix des temps en français repose en effet plutôt sur l’utilisation systématique du présent en allemand, même pour exprimer des évènements futurs. Ainsi, quand Paul propose à sa nièce de partir explorer la plage, l’allemand exprime la notion de futur par «dann» alors que le français a besoin d’une marque de temps dans la conjugaison du verbe «erforschen», tout en conservant l’idée que cette activité est imminente, d’où le choix du futur proche «nous allons explorer». Il en est de même lorsque Ava déclare qu’elle refuse de laisser Paul dormir sur le canapé et qu’elle lui dit: «Natürlich nicht, …, wir wechseln uns ab». Ici, le futur simple s’impose en français, «nous y dormirons chacun à notre tour», même si le rythme du récit s’en trouve un peu ralenti.

Cette difficulté à respecter le rythme du texte source dans la traduction n’est pas isolée. Un des défis principaux de ce texte repose effectivement sur le jeu d’équilibre entre le respect de la langue allemande et son adaptation dans la langue française. Par exemple, dans le chapitre 7, le mode d’échanges entre Ava et Paul est très bref. En français, il a fallu également conserver le rythme intense de ce dialogue tout en le rendant naturel à un public francophone. Ainsi, lorsque Ava s’emporte contre Paul et lui déclare: «Lass das, ich bin nicht dein Kind, ich bin noch nicht mal deine Frau», il semble judicieux de ne pas traduire sa dernière phrase en reprenant le verbe. En effet, en commençant l’intervention d’Ava par «Laisse tomber, je ne suis pas ton enfant», la traduction contient déjà bien plus de syllabes que le texte original. Dès lors, l’expression «ni même ta femme» redonne un caractère incisif à la réplique d’Ava.

Un autre obstacle auquel nous nous heurtons lors de la traduction de ces dialogues en français est l’absence de ponctuation dans la version allemande. Alors que l’anglais et l’allemand tolèrent cette absence, le français se montre plus strict. C’est pourquoi, lorsque Paul s’adresse à Isa dans le chapitre 7, le deux-points a été ajouté rendant ainsi la lecture en français plus compréhensible.

Finalement, nous constatons que les différents choix de traduction reposent principalement sur la volonté de permettre au lecteur francophone une proximité avec le personnage d’Ava telle qu’elle est vécue par le lecteur germanophone. Celle-ci s’acquiert par le maintien aussi fidèle que possible du rythme initial combiné au respect des codes syntaxiques et expressions lexicales de la langue française.

Sarah Widmer

Connexion