Le mot du traducteur – Renato Weber

Renato Weber s’exprime sur «la chance de traduite Ugo Petrini», dont la poésie limpide mêle sérieux et légèreté, hautes vérités et banalité du quotidien où la nature et les animaux occupent une place centrale.
Le mot du traducteur - Renato Weber
Renato Weber. R. STOJMENOVA

Le traducteur (et le lecteur) francophone de Ugo Petrini a de la chance, et cela à plusieurs titres. Tout d’abord, parce que les vers du poète tessinois sont relativement faciles d’accès – ne posant, du moins à première vue, pas de barrières sémantiques majeures – et que leur langue (l’italien) est assez proche de la langue-cible (le français). Le traducteur peut ainsi restituer une majorité des jeux sonores et rythmiques sans recourir à trop d’acrobaties ou, si la correspondance n’est pas donnée, trouver des expédients qui permettent de compenser par un autre biais ce qui semblait perdu. En effet, les poèmes de Petrini ne posent, pour la plupart, aucun problème de transmission du contenu sémantique et ne requièrent pas l’effort de lecture que demande une partie de la poésie contemporaine: l’essence poétique naît bien souvent du simple rapprochement de quelques motifs (observation, objet, geste, habitude, etc.) et de leur interprétation, qui leur confère toute leur épaisseur symbolique.

De la chance, disions-nous, également parce que Petrini est un poète d’une grande indépendance, économique (il a vécu de son enseignement dans une école secondaire), mais pas seulement. Il préfère manifestement la qualité à la quantité, et le facteur temps, quand il s’agit de création poétique, ne semble jouer aucun rôle pour lui: il ne publie jamais avant de sentir que ses vers ont assez mûri – et souvent chez des éditeurs de niche qui partagent son souci de qualité littéraire mais aussi typographique, plusieurs plaquettes ayant été élaborées en collaboration avec des artistes (pointes sèches, xylographies, eaux-fortes). Tout ce qui compte pour Ugo Petrini (la seule chose?), c’est son travail de et avec la langue, qui, caractérisée par la profusion, résulte d’une écriture empreinte d’une sensibilité hors du commun. Cette posture de la discrétion semble d’ailleurs se refléter dans ses vers, qui recèlent maint petit bijou que le lecteur est invité à découvrir et le traducteur, par un travail finalement similaire, à faire découvrir.

Un autre facteur remarquable, une véritable chance pour le traducteur de Petrini, réside dans son attitude face à son œuvre, surtout dans sa manière d’en parler (pour celles et ceux qui ont eu l’occasion d’assister à une lecture, par exemple en 2018 aux Journées littéraires de Soleure), toujours directe et naturelle, comme s’il évoquait une activité tout à fait ordinaire, quotidienne bien que nécessaire, comme manger et dormir. Nous en voulons pour preuve un mélange, trop rare chez nombre de confrères, d’une part de légèreté, d’humour même, lorsqu’il évoque le fruit de son travail, et d’autre part de grand sérieux, dû au fait qu’il est entièrement conscient de la gravité – et de la tradition située en amont – qu’une telle matière requiert : bref, ne pas trop se prendre au sérieux tout en étant très sérieux, voilà qui lui réussit particulièrement bien. Ce paradoxe (seulement en apparence) se reflète également dans son œuvre: si les échos intertextuels et les rythmes empruntés à plusieurs grands poètes italiens (souvent difficilement communicables, hélas, au lecteur francophone) ne manquent pas, sa poésie ne cesse de faire des rapprochements, tant sur le plan formel que sémantique, entre les vérités les plus hautes, graves et mystérieuses, et des éléments pour ainsi dire banals, quotidiens – en accordant une place privilégiée à un monde animal toujours en mouvement et à une nature le plus souvent amie (rarement menaçante, étonnamment!).

Renato Weber

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