Agora

Colloques sous influence dans le Golfe

Inviter à grands frais des personnalités renommées pour des conférences ou accueillir les réunions de prestigieuses institutions internationales: autant de procédés que les monarchies pétrolières utilisent pour renforcer leur notoriété.
Proche-Orient

Le Koweït dans les années 1980, puis Dubaï, membre de la fédération des Emirats arabes unis (EAU), dans les années 1990, et enfin le Qatar et Abou Dhabi une décennie plus tard: tous se sont engagés dans une recherche effrénée d’influence qui nécessite des moyens financiers importants. Dans cette quête de visibilité, les journalistes ont toujours été des cibles de choix, quelle que soit leur nationalité1>Lire Daniel Lazare, «La redoutable influence de Riyad à Washington», Le Monde diplomatique, juillet 2017.. Invités à des voyages de presse – souvent la seule façon de rencontrer des dirigeants locaux –, ils bénéficient de cadeaux allant du stylo de marque à la montre de luxe, quand il ne s’agit pas d’enveloppes d’argent liquide déposées dans leur chambre d’hôtel. La crise financière de 2008 et, plus récemment, la guerre au Yémen, qui implique de fortes dépenses pour les EAU, ont néanmoins limité ces largesses.

Les pays hôtes tiennent compte des divers niveaux d’exigence éthique dont font preuve leurs invités. Les presses anglo-saxonne et européenne, censées être les plus hermétiques aux gestes de générosité, fussent-ils «désintéressés», sont donc traitées de manière moins prodigue que leurs homologues asiatique ou arabe. Mais des exceptions existent. Sous le sceau de la confidence, les représentants des agences ou des ministères de l’information qui cornaquent les voyageurs se font un plaisir de raconter comment l’envoyé de tel ou tel quotidien français ou américain a exigé d’être traité à l’égal de son confrère égyptien ou chinois en bénéficiant lui aussi de l’ordinateur portable dernier cri, au lieu du chargeur solaire initialement reçu…

Pour «exister», Dubaï, le Qatar ou Abou Dhabi multiplient aussi les conférences et les colloques. L’objectif: attirer de grands noms occidentaux et faire mieux que le voisin. Peu importe que le thème soit plat, les communications des orateurs prudentes et convenues, les travées clairsemées: l’essentiel est de donner l’impression d’une intense activité intellectuelle. Invités tous frais payés avec vol en première classe ou, pour les moins connus, en classe affaires, les intervenants sont logés dans des palaces dont le taux de remplissage, faute de touristes, dépend beaucoup de ces colloques consacrés aux thèmes médiatiques du moment. Là aussi, les personnalités les plus importantes ont droit à des cadeaux de valeur. A charge implicite pour elles de vanter la «vision» du monarque local et le caractère «exceptionnel» de l’expérience politique de son pays2>Lire «Le Golfe par ses mots», Le Monde diplomatique, août 2013.. Le 3 mars 2018, M. Nicolas Sarkozy prononçait ainsi à Abou Dhabi un discours rémunéré sur le thème de la démocratie destructrice de «leadership», qui ferait obstacle à l’émergence de «grands leaders» de l’envergure de MM. Xi Jinping, Vladimir Poutine ou Mohammed Ben Salman. Un propos qui ne pouvait que faire plaisir à l’homme fort de l’émirat – et de toute la péninsule arabique –, le prince héritier Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane3>Cf. David D. Kirkpatrick, «The most powerful Arab ruler isn’t MBS. It’s MBZ», The New York Times, 2 juin 2019..

Dans un contexte mondial marqué par une limitation de leurs ressources financières, des institutions internationales peuvent, elles aussi, oublier leurs principes et solliciter l’aide des monarchies du Golfe. En avril dernier, l’Union interparlementaire (UIP), organisation mondiale des Parlements, et accessoirement la plus ancienne des institutions internationales à caractère politique (1889), a tenu son assemblée de printemps au Qatar, avec pour thèmes principaux «l’éducation, l’égalité des sexes et la lutte contre le terrorisme». Précision de taille: il n’existe pas de parlement élu au Qatar, le Majlis Al-Choura n’ayant qu’un rôle consultatif. En octobre 2020, l’émirat de Dubaï accueillera quant à lui une Exposition universelle consacrée aux nouvelles technologies, avec pour mot d’ordre «connecter les esprits, construire le futur» – cela, alors même que la législation des EAU concernant l’usage d’Internet est l’une des plus coercitives du monde4>«Aux Emirats arabes unis, les utilisateurs de VPN risquent désormais la prison», Le Monde, 1er août 2016.. Là aussi, des invités prestigieux participeront à des colloques et à des conférences en marge de l’exposition. Bien pris en charge, ils feindront d’ignorer la réalité du pays qui les reçoit. Une duplicité à laquelle M. Anthony Blair est accoutumé: l’ancien premier ministre britannique accumule les très lucratives missions de conseil dans le Golfe en vue de favoriser des réformes politiques ou sociétales auxquelles personne ne croit5>Edward Malnick, «Tony Blair is advising the Saudi government under a £9 million deal between the country and his ‘institute’», The Telegraph, Londres, 21 juillet 2018..

Notes[+]

Article paru dans Le Monde diplomatique de septembre 2019.

Opinions Agora Akram Belkaïd Proche-Orient

Connexion