Chroniques

Mon beau-frère et le capitalisme vert

A rebrousse-poil

Mon beau-frère, le capitalisme vert, des multinationales responsables… Quel rapport entre ces trois objets?

Rémi vit avec la sœur de ma compagne. Trois enfants superbes, une grosse maison en pierre au pied du Vercors, qu’il a retapée tout seul. A côté, un atelier plein d’outils, de vieux meubles et de bouts de bois. Ebéniste, luthier parfois, Rémi a des doigts d’or. D’un tas de planches vermoulues il tirera une commode qui ne déparerait pas le salon le plus huppé; avec une épave éventrée à laquelle manquent l’âme et le manche il reconstruira, minutieux, une contrebasse au son profond. Soucieux de l’avenir de la planète, il applique dans les détails du quotidien des principes qui permettront peut-être d’atténuer le changement climatique.

Il a bien sûr des toilettes sèches. Dans son jardin, qu’il arrose durant l’été avec l’eau de pluie conservée dans de grandes citernes, les tomates et les courgettes n’ont jamais vu la couleur d’un engrais chimique. Il se chauffe au bois coupé dans la forêt voisine, et met son savoir au service de la ressourcerie du village. Là, plutôt que les jeter, on répare et on retape les objets les plus divers. Et afin de limiter son empreinte carbone – donc sa production de gaz à effet de serre – il n’utilise sa camionnette qu’en cas d’absolue nécessité: ses livraisons, il les fait avec une carriole tirée par un vélo électrique, aux batteries rechargées avec du courant vert.

Tout cela ne fait pas de Rémi un ascète ou un malheureux! Sa table est toujours bien garnie, comme sa cave, où les bouteilles n’attendent que l’arrivée d’un ami pour être tirées de l’ombre. Et bien que son intégrisme écolo lui vaille parfois quelques sourires, mon beau-frère est la préfiguration de ce que pourrait être l’homme de demain: il réduit ses besoins à l’essentiel, et s’en porte bien.

Demain… voilà qui préoccupe l’auteur de L’impossible capitalisme vert1>Daniel Tanuro, L’impossible capitalisme vert, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2010.. En deux cents pages toujours d’actualité, il démontre l’absolue incompatibilité entre capitalisme et écologie, entre un système économique glouton qui survit en produisant et en consommant toujours plus, et la protection d’une planète finie. Des Rémi, des colibris2>www.colibris-lemouvement.org/mouvement/legende-colibri, il en faudrait bien sûr des millions… Tanuro souligne qu’en culpabilisant les particuliers, en les invitant individuellement à changer de style de vie, on détourne l’attention de la grande responsable: la folie capitaliste. S’appuyant sur les prévisions du GIEC3>Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat., il rappelle que, sauf diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre – inhérentes à notre civilisation –, le réchauffement climatique se soldera par des catastrophes pour l’homme et tous les êtres vivants. Il relève que les pays développés sont responsables pour 70% de ces émissions, tandis que les premières victimes du réchauffement seront – tiens donc! – les plus pauvres. Il pose en outre, comme à mi-voix, une simple question: dans ce monde où tout est comptabilisé, qui oserait évaluer en termes monétaires la disparition d’une espèce de papillon?

Neuf ans après la parution de ce livre, nous continuons à foncer vers le gouffre, malgré toutes les belles déclarations d’intentions de nos gouvernements.
Pour ce qui est du nôtre, il est préoccupé actuellement par l’initiative «Multinationales responsables». Les entreprises doivent respecter également à l’étranger les droits de l’homme reconnus et les normes environnementales internationales, dit-elle. Donc telle société qui vend au loin un pesticide cancérigène, telle autre qui paie des nervis pour étendre ses mines et chasser des indigènes gênants pourraient être poursuivies et condamnées en Suisse. Que du bon pour l’humanité, que du bon pour la planète! Mais sous la pression des milieux d’affaires paniqués par les sondages – 75% des sondés sont favorables à l’initiative –, le Conseil national a pondu un contre-projet. Le Conseil des Etats, qui va se pencher dessus, a déjà prévu d’y apporter un certain nombre d’aménagements, qui permettront aux multinationales, vraisemblablement, de ne rien changer à leurs pratiques.

Avec des gouvernements qui se couchent devant le capital, les Rémi de toutes sortes ont encore du travail devant eux, et les producteurs de gaz à effet de serre peuvent dormir tranquilles. Et l’on peut constater, avec Daniel Tanuro, que l’humanité, même dans les périodes les plus obscurantistes de son histoire, n’a sans doute jamais connu de situation aussi totalement, aussi monstrueusement irrationnelle.

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