Genève

Contre les clichés de la misère

Environ deux cent cinquante personnes étaient rassemblées vendredi sur la place des Grottes pour une performance photographique montrant la précarité sous un angle inédit.
Contre les clichés de la misère
Une foule hétéroclite munie d’accessoires insolites a pris part vendredi à la performance proposée par Carrefour-Rue sur la place des Grottes. Photo: François Hirschi
Précarité

Vendredi 6 septembre, en fin d’après-midi, la place des Grottes est prise d’assaut par une foule assez hétérogène. A première vue, il s’agit d’un vaste apéritif au son d’un piano, entre membres et sympathisants de l’association sociale indépendante Carrefour-Rue. Mais la présence d’une nacelle à bras téléscopique où sont perchés deux photographes armés d’énormes objectifs ne passe pas inaperçue. Certains, intrigués, s’infiltrent sur la place où règne une certaine étrangeté. Qu’attend-on? Ou plutôt qui?

L’événement du jour consiste à rendre actrices d’une performance toutes les personnes qui le souhaitent, notamment le public accueilli par l’association. L’artiste Max Jacot immortalise la foule dans une atmosphère inspirée des célèbres ouvrages Où est Charlie?. L’occasion d’envisager la thématique de la précarité sous un angle échappant aux clichés conventionnels. De photographier non pas des visages en souffrance, des mains tendues sur un trottoir, mais une fête qui réunit indistinctement tout le monde, au-delà des parcours individuels parfois difficiles.

«Aujourd’hui, tout le monde constate que la précarité augmente et le public qui a la chance de ne pas la subir se barricade, remarque Guillaume Taramarcaz, travailleur social à Carrefour-Rue, l’un des organisateurs de l’évènement. Nous avons invité les membres d’autres associations qui œuvrent dans le domaine à se joindre à nous. Ils se sont beaucoup mobilisés en amenant non seulement leurs bénéficiaires mais aussi des parents, des amis, des connaissances issus de milieux plus favorisés. Se rencontrer autour d’un événement festif est un bon moyen de faire évoluer les perceptions.»

Qui est Charlie?

Sous un vêtement à rayures rouges et blanches, un personnage fait une entrée assez discrète dans la foule. Ceux qui le connaissent ne manqueront pas d’identifier Noël Constant, fondateur de Carrefour-Rue. «Nous avons eu à cœur d’attirer l’attention sur cette figure emblématique, explique l’organisateur. Noël incarne notre désir de créer du lien.»

Sous l’impulsion d’un mégaphone, la foule est informée du début d’un shooting photos qui durera une vingtaine de minutes. Un animateur déguisé en superhéros incite les uns et les autres à se mettre en mouvement, à imaginer des actions insolites. Quelqu’un arrose une plante géante. Des pancartes déambulent, frappées de slogans surréalistes. «Après l’extase, la vaisselle», annonce l’une d’entre elles, brandie par un fêtard qui semble déjà envisager la fin de la fête.

«Il s’agit d’un acte symbolique. Une sorte de pied de nez à l’isolement» Guillaume Taramarcaz, travailleur social à Carrefour-Rue

Max Jacot a fait appel à un résident de la Coulou, un foyer d’hébergement d’urgence, pour l’aider à prendre des clichés grand angle en rafales. «Je fais de la photo en amateur depuis longtemps, témoigne celui-ci, et Max est un de mes amis. L’appareil qu’il a utilisé depuis la nacelle avait un plus grand zoom que le mien. Il pouvait être focalisé sur certaines expressions tandis que je prenais des vues d’ensemble. Je n’aime pas trop être pris en photo, je préfère être derrière l’appareil. D’une manière générale, dans toutes les fêtes organisées par Carrefour-Rue, j’aime bien être occupé à l’arrière, dans les coulisses.»

Les membres de l’association saluent l’initiative de Max Jacot. «En hissant au-dessus de la foule un résident de la Coulou, il lui donne l’occasion de sortir de son statut de bénéficiaire du social pour partager celui d’artiste.»

Des enfants jouent à la marelle, dansent autour du piano, l’accompagnent d’un violon ou promènent un chien. Des amoureux s’embrassent. «Les gens jouent le jeu, remarque un participant. C’est impressionnant de voir toute cette foule suivre des directives, faire la ronde, se coucher en même temps par terre.»

Corps en mouvement

Le photographe Max Jacot, très actif au sein du Collectif 500 dans le quartier des Grottes, s’inscrit en négatif d’une société où la volonté de contrôle, poussée à l’extrême, donne lieu à une inertie qu’il déplore. «Dans la photo, on veut tout maîtriser par la technique. Retoucher, masquer les montages.» Ce qui importe, selon lui, ce n’est pas l’art, mais l’action artistique partagée.

Le projet Charlie sera couronné par une exposition à la Rue des artistes, une galerie de l’association, et la distribution de tirages sur papier pour les participants. «Il s’agit d’un acte symbolique, explique Guillaume Taramarcaz. Une sorte de pied de nez à l’isolement. On a tous des photos de famille qu’on aime regarder. C’est important. Nous souhaitons donner accès à ce sentiment d’appartenance à un groupe à des personnes qui vivent isolées.»

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