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Cinoches: dura Rolex, sed Rolex

L’IMPOLIGRAPHE

Genève aime le cinéma et c’est la bonne nouvelle de cet été. Trois cinémas de quartier (le Lux, le City et le Nord-Sud) ont été rénovés (et un quatrième, les Scala, vont l’être) avec le soutien de la Ville et, dans un cas, contre le désir du propriétaire qui voulait en faire un garde-meuble… Et le plus beau cinéma du coin, le Plaza, a été sauvé, mais il aura fallu que la Fondation Wilsdorf (la «bienfaitrice de Genève», proclame l’hagiographe du Temps) rachète tout le bâtiment abritant la salle pour éviter qu’à sa place Genève soit gratifiée d’un centre commercial et d’un parking de plus, dans un quartier qui compte déjà au moins trois centres commerciaux et autant de parkings. Un «scénario inouï débouchant sur un happy end incroyable», se pince la Tribune du 8 août. Plutôt un scénario espéré s’agissant du sauvetage de la salle, et le seul scénario possible s’agissant de son rachat, dès lors que l’Etat et la commune avaient renoncé à y investir autre chose que de beaux discours. La fondation, plus élégante que nombre de commentateurs, a reconnu que «c’est l’attachement des Genevois pour ce lieu» et «la mobilisation pour le sauver» qui l’ont convaincue qu’«il méritait d’être sauvé»…

Evidemment, une initiative signée par plus de 11 000 personnes, ça pèse, même si les juristes de la couronne ont trouvé moyen de la faire invalider par le Conseil d’Etat. On se bat depuis 2014 contre cette démolition – autrement dit, on s’est battu pendant presque cinq ans contre l’Etat pour sauver une salle dont l’Etat aujourd’hui voudrait bien s’attribuer une partie du mérite de l’avoir sauvée. «Le Plaza est une salle unique, c’est la cathédrale du cinéma» proclame l’architecte Patrick Devanthéry. Si le Plaza est «la cathédrale du cinéma», que sont ceux qui voulaient le détruire et ceux qui leur en avaient délivré l’autorisation? des talibans? Bref, les «politiques» qui ont soutenu notre combat depuis le début ne sont pas si nombreux et nombreuses qu’on puisse sans ingratitude les oublier. Quand ils se félicitent du sauvetage du Plaza, elles et eux ne «récupèrent que ce qu’ils offrirent»: ce combat a été le leur comme il fut le nôtre, et les grommellements des résistants de la dernière heure n’y changeront rien. Alors merci Alia, Christina, Maria, Sylvain…

Le Plaza a donc été sauvé. Encore fallait-il qu’il soit sauvable – c’est-à-dire qu’il ne soit pas détruit, après que le Conseil d’Etat a autorisé qu’il le soit. Et c’est bien «la mobilisation pour le sauver» qui a permis à la Fondation Wilsdorf de racheter autre chose qu’un tas de gravats, un centre commercial ou un parking… «Cette transaction a été conclue quand bien même elle représente le renoncement à un projet porteur», tartuffent les anciens propriétaires. Un «projet porteur» de quoi? S’ils y ont renoncé, c’est sans doute qu’ils se sont aperçus qu’un centre commercial et un parking aujourd’hui n’étaient plus «porteurs» que de pertes financières, comme d’ailleurs les logements étudiants ajoutés au projet pour tenter de le faire accepter: ou bien ces logements devaient être loués à des prix accessibles à la majorité des étudiants, et le propriétaire n’aurait pu en tirer aucun profit, ou bien ils étaient destinés aux seuls étudiants dont les parents ont les moyens de payer un loyer au «prix du marché», ce qui les réservait à un public qui n’en avait pas besoin. Pour comble d’hypocrisie, les anciens propriétaires se disent «heureux d’annoncer que le cinéma Plaza va remplir une nouvelle fonction pour Genève» alors qu’ils n’avaient eu de cesse de vouloir le détruire…

Il y avait deux enjeux dans le combat mené pour sauver le Plaza: un enjeu patrimonial (sauver la salle) et un enjeu culturel (en faire un lieu culturel spécifique, une «maison du cinéma» capable, par exemple, d’accueillir tous les festivals de cinéma et d’image qui sont organisés à Genève – et financés par la Ville). On a gagné le premier enjeu. Le second reste à remporter. Le projet que la nouvelle fondation va proposer peut-il y concourir? Le projet de la Fondation Wilsdorf est celui que nous défendions depuis des années: faire de la salle de cinéma le cœur d’un centre culturel voué au cinéma. Et au passage, reclasser la salle que le Conseil d’Etat avait classée en 2004, avant que de la déclasser en 2013 au prétexte, avancé par le propriétaire de l’époque, qu’il était impossible d’en rentabiliser l’exploitation, comme si la rentabilité était un critère de défense du patrimoine… Il est rentable, le Grand Théâtre, qui a besoin pour pouvoir tourner que la Ville y injecte plus de 40 millions de francs chaque année? Il est rentable, le Victoria Hall? Elle est rentable, la Tour Baudet? Ah non, pardon, elle, elle doit bien être rentable, sinon, pourquoi Manotel aurait-elle subventionné le prolongement du bail quinquennal deux colocataires?

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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