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«Pour une fondation transparente et une diplomatie solidaire»

Financée par des fonds publics, la nouvelle fondation Geneva Science Anticipator mise sur la «diplomatie scientifique» pour renforcer l’attrait et la compétitivité de la Suisse en tant qu’Etat hôte au niveau international. La nomination de deux anciens dirigeants de Nestlé à la tête de cette institution fait débat.
Genève

Le Conseil d’Etat genevois a apporté en février dernier son soutien à la création de la fondation Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GSDA), laquelle a pour but de renforcer le rôle de la Suisse dans le traitement des thématiques de la diplomatie multilatérale ainsi que de rapprocher le monde scientifique de la diplomatie internationale. Cofondée par la Confédération et le canton de Genève, la fondation sera financée par le Département des affaires étrangères à hauteur de 3 millions de francs sur trois ans. Le Conseil d’Etat genevois envisage quant à lui un apport de 300 000 francs sur trois ans. Il a annoncé récemment la couverture de la moitié du capital de départ de la fondation (soit 25’000 francs). Le Conseil administratif de la Ville de Genève, sous réserve de l’approbation du Conseil municipal, prévoit aussi d’y participer à hauteur de 300’000 francs sur trois ans.

Genève occupe une place incontournable au sein du système multilatéral international. Cette situation représente un atout pour la politique extérieure suisse. Elle dote nos autorités d’un accès facilité aux organisations internationales en lui conférant une tribune pour délivrer ses messages. Cette position privilégiée n’est toutefois pas forcément pérenne. Confrontée à une concurrence très forte de la part d’autres villes et Etats hôtes et avec un coût de la vie très élevé, la Suisse doit trouver les moyens de rester attrayante. Afin d’assurer le positionnement de la Suisse comme Etat hôte, la Genève internationale a donc intérêt à se profiler comme un lieu où sont discutées les nouvelles thématiques qui vont occuper la scène mondiale ces prochaines décennies, comme notamment les progrès de la génétique, qui modifie les pratiques de la médecine et de l’agriculture, ou les impacts de la robotisation et de l’intelligence artificielle sur l’avenir du travail. La recherche et l’innovation peuvent et doivent contribuer à la lutte contre la pauvreté et au développement durable. Un rapprochement entre milieux scientifique et diplomatique est également un objectif cohérent. Cependant, la décision du Conseil fédéral, d’entente avec le Conseil d’Etat genevois, de nommer MM. Peter Brabeck-Letmathe et Patrick Aebischer à la tête de la Geneva Science and Diplomacy Anticipator est très contestable. Comme l’ont relevé Public Eye, Swiss Aid et l’Alliance pour une agriculture sans génie génétique (ASSG), avec deux anciens dirigeants de Nestlé à la tête de cette nouvelle fondation, un débat neutre sur les nouvelles technologies telles que le génie génétique est impossible! Rappelons notamment que Nestlé est montré du doigt depuis des années pour son commerce de lait en poudre et pour le non-respect du Code international de commercialisation des substituts du lait maternel par l’Organisation mondiale de la santé. Des mouvements citoyens se sont formés dans plusieurs pays contre la privation et la surexploitation de sources d’eau locales par le géant agroalimentaire suisse. Et comme l’a rappelé Public Eye dans son communiqué, des conflits d’intérêts ont déjà eu lieu avec l’une des nouvelles têtes de la GSDA: «Lorsqu’il dirigeait l’EPFL, M. Aebischer a fait financer deux chaires par Nestlé, et a par conséquent été forcé de quitter le Conseil d’administration de Nestlé Health Science en 2015… pour promptement rejoindre, la même année, le Conseil d’administration du groupe Nestlé, avant de siéger à nouveau aujourd’hui au Conseil d’administration de Nestlé Health Science». Les solutions aux enjeux globaux ne peuvent pas, en outre, émerger seulement du secteur privé. Le cercle des experts consultés doit être suffisamment large pour assurer une représentativité et garantir la diversité des points de vue.

Le lancement de cette fondation intervient dans le contexte d’une réorientation stratégique de la politique étrangère suisse. Les intérêts nationaux de la Suisse semblent prendre le pas sur ses obligations internationales, comme en témoigne la visite très controversée du ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, dans une mine de cuivre de Glencore en Zambie. Et ce au détriment de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable 2030, à l’élaboration desquels la Suisse a pourtant largement contribué. Le Conseil fédéral et le Conseil d’Etat genevois estiment qu’une fondation axée sur les nouvelles technologies permettra de renforcer la position de Genève internationale. Pour ce faire, l’éthique et la transparence devraient toutefois être garanties sous peine de mettre en péril la crédibilité de la Suisse.

Emmanuel Deonna et conseiller municipal socialiste, Ville de Genève et député suppléant, Grand Conseil genevois.
Omar Azzabi est conseiller municipal, Les Verts, Ville de Genève.

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