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Quand voyager est un privilège

Etudiante et militante, Ruth Noemi Bendel s’interroge sur la notion de «privilège».
Réflexion

Voyager est un privilège qui n’est pas donné à tous/tes. Comme un peu plus de la moitié des habitants de Suisse, je suis issue de la classe moyenne. Je suis étudiante et j’ai un job d’étudiante. Je ne gagne pas des mille et des cents, mais de quoi assouvir mes loisirs: sorties culturelles, verres entre ami-e-s, restaurants, voyages, etc. J’ai fêté mes 18 ans en 2012 et mes parents m’ont encouragée à trouver un job pour avoir un rapport plus concret à l’argent – et donc à mes dépenses – afin de jouir d’une certaine indépendance financière. Une indépendance qui me permet de voyager à mon gré.

Il reste que mon job d’étudiante me procure un salaire qui ne sert qu’à mes propres plaisirs. Mes parents ont une situation financière stable et peuvent se permettre d’investir pour mon avenir professionnel et économique. Ils me paient mes études, titres de transport et tout ce qui touche à l’université. Il est important de le mentionner car avant que des tiers me le fassent remarquer, à aucun moment je n’avais réalisé qu’avoir un job signifiait pour certaine-e-s financer ses études ou aider ses parents à les financer.

Je n’avais jamais envisagé le fait qu’une multitude d’étudiant-e-s n’avaient pas la possibilité de jouir des mêmes plaisirs que moi et que l’argent qu’ils/elles gagnaient servait à couvrir leurs besoins! Qu’un job d’étudiante soit le moyen de se faire de l’argent de poche était pour moi la «norme» et à aucun moment je m’étais interrogée sur ma position sociale et économique. Je suis donc privilégiée.

Me questionner sur ce privilège insoupçonné a mis en exergue que mes voyages à Paris cinq fois par année, les interrails et roadtrips, les visites de villes étrangères que j’effectue chaque année découlent d’une situation qui n’est pas accessible à tous/tes. Je ne considérais pas cela comme un avantage, car la plupart de mes ami-e-s qui ont un job d’étudiant-e sont dans la même position que moi – nos seuls salaires nous assurent une indépendance financière qui nous permet d’assurer nos loisirs.

Au final, c’est ça le privilège: jouir pleinement de quelque chose sans se remettre en question, la considérer comme «normale» et ne pas s’en soucier. Ce n’est pas mauvais en soi de bénéficier de privilèges, mais il est crucial de s’en rendre compte parce qu’avoir un privilège veut toujours dire qu’à l’autre bout de la ligne, il y a quelqu’un qui n’en jouit pas. Et c’est à ce moment qu’il doit y avoir questionnement.

L’auteure est de Lausanne

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