Chroniques

Evitons la gueule de bois du lendemain de grève!

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Voilà, elle est passée; l’immense vague violette a déferlé sur la Suisse, sur toute la Suisse. Petites villes et grands chefs-lieux, Romandie, Tessin et Suisse alémanique. Quelque chose d’incroyablement fort a galvanisé les foules ce jour-là. Grâce aux collectifs décentralisés, dans les quartiers, dans les institutions, pas d’impression monochrome à part celle des T-shirts et des badges. Les slogans étaient inédits, innovants, impertinents. L’imagination a été au pouvoir pour quelques heures…

Bien sûr, les revendications autour de l’égalité salariale, de l’âge de la retraite et des rentes étaient là, les rappels et les dénonciations des violences subies, mais au-delà de ces aspects, l’humour a envahi l’espace public. Chacun-e y est allé-e de son slogan, de sa façon de parler de l’égalité, d’imaginer l’utopie féministe. L’impertinence a jailli au pays du consensus, du parler bas, d’un certain puritanisme aussi. Des vulves ont fleuri sur les pancartes, des clitoris se sont invités dans la rue, des serviettes hygiéniques et des tampons ont décoré les cortèges. Ce n’est pas anecdotique, bien au contraire, cela a montré que la parole des femmes* s’était libérée.

Au lendemain de la mobilisation, les premières réactions ne se sont pas fait attendre: parlementaires tout d’abord, avec la proposition d’un congé paternité de deux semaines et la réapparition des quotas (en politique, mais surtout dans les conseils d’administration), et syndicales ensuite, avec des revendications réaffirmées autour de l’égalité salariale, du salaire minimum, notamment pour les métiers largement féminisés, mais aussi autour de l’âge de la retraite des femmes et de la réduction du temps de travail. Si du côté parlementaire, l’ampleur de la manifestation a créé l’obligation d’entrer en matière, ne serait-ce qu’en accordant quelques miettes, du côté syndical, on cherche à transformer l’essai. Après cette mobilisation sans précédent, le rapport de force semble favorable pour les négociations salariales de la rentrée.

Mais attention, nous ne nous laisserons pas réduire au silence par des propositions qui frisent l’indécence. Après ce que l’Union syndicale suisse qualifie de plus grande mobilisation depuis la grève de 1918 (24 Heures, 10.07.2019), comment peut-on proposer comme première mesure un cadeau aux hommes? Deux semaines de congé paternité sont certes bienvenues, mais cela n’aide en rien la prise en charge conjointe de l’enfant à peine né ni la répartition des tâches au sein de la famille, bref ne soutient que peu les mères. Quant aux quotas, ils ne concernent qu’une minorité des femmes, celles qui ont des postes de cadres supérieures et qui souhaiteraient poursuivre leur carrière, ou celles qui s’engagent en politique; ne refaisons pas le débat ici, mais qu’en est-il de toutes les autres, les centaines de milliers qui se sont mobilisées il y a un mois?

Du côté des revendications syndicales, elles vont dans le sens de ce qui a été demandé durant la grève et nous nous en réjouissons. Mais cela reste, et c’est normal, limité à la sphère du travail, dans une acception classique. La mobilisation était beaucoup plus vaste qu’une manifestation syndicale. Les enjeux étaient certes les salaires, les retraites, le temps de travail, mais ils portaient également sur les violences au travail, à la maison et dans la rue, sur les droits des migrantes, sur la situation des «sans-papiers», sur les droits sexuels, sur le travail domestique ou encore sur le travail du sexe. Enfin, le recours à l’astérisque accompagnant dans tous les textes le mot «femmes» a mis l’accent sur toutes les catégories de personnes dominées dans le système de genre. Il s’agira de poursuivre des mobilisations dans différentes sphères pour que toutes* soient entendues, pour que nous puissions avancer sur tous ces fronts.

Nous sommes conscientes que ce sera difficile, qu’il faudra peut-être inventer des formes de mobilisation nouvelles, car une chose est apparue le 14 juin dernier qu’il ne faut pas laisser disparaître à nouveau: la formidable capacité de mobilisation, d’alliance du féminisme, mais aussi son irrévérence, son humour, sa force. Aussi, pour ne pas nous réveiller à la fin de l’été avec l’impression d’avoir un peu trop fêté, imaginons dès à présent comment poursuivre, comment porter toutes nos revendications et disons «non» aux demi-mesures et fausses solutions!

Les auteures sont investigatrices en études genre.

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mardi 11 juin 2019
Un événement majeur a marqué les luttes féministes en Suisse cette année: la grève  des femmes / grève féministe du 14 juin. Vous pouvez télécharger gratuitement ici le pdf de notre numéro spécial ...

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