Contrechamp

Quand l’individuel devient collectif

La Pride romande revient à Genève pour son édition 2019. A travers les témoignages de membres du collectif qui organise l’événement, Quentin Markarian livre un aperçu des multiples composantes de la communauté LGBTIQ+, qu’il s’agit de rassembler autour d’un but commun: visibiliser le mouvement, déconstruire les préjugés et «rendre public le privé».
Quand l’individuel devient collectif
Quentin Markarian: «Queeriser la rue, c’est se réapproprier un espace où nous sommes encore considérés illégitimes par les autres, et par analogie par nous-mêmes.» Photo: Pride romande à Genève, juillet 2011. KEYSTONE
Geneva Pride

Du 29 juin au 7 juillet, Genève se muera aux couleurs de la Pride. Née au cœur de la cité de Calvin en 1997, la Pride romande n’était pas passée par Genève depuis huit longues années. A l’inverse de sa grande sœur alémanique – la populaire Pride de Zurich – la Pride romande a pour particularité de voyager de ville en ville à chaque nouvelle édition. Berne, Bienne, Delémont, Fribourg, Lausanne, Lucerne, Lugano, Neuchâtel et Sion ont jalonné le parcours de cette Pride itinérante. Qui dit changement de ville dit également changement d’équipe. Initialement composée de moins d’une dizaine de personnes, l’équipe de la Geneva Pride 2019 a évolué au rythme de l’apparition de nouveaux défis. Pour ses organisateur-trice-s improvisé-e-s et volontaires, pas de guide, de protocole ou de manuel à suivre. Tout est à re-construire. Tout est à déconstruire.

Un engagement personnel

A l’instar de Juliette, Philipp et Romain, la plupart des membres de l’équipe d’organisation de la Pride n’ont pas un historique associatif considérable. Loin des clichés traditionnels des militant-e-s de longue date, s’engager au sein de la Geneva Pride sonne plutôt comme une première expérience associative LGBTIQ+ motivée par un besoin pressant d’égalité. Pour Juliette, interpellée par l’impossibilité des lesbiennes de conclure un mariage en Suisse, s’engager pour la Pride fait écho à sa situation personnelle: «Je ne comprends pas comment j’ai perdu des droits en cours de route en passant de mes relations avec des hommes à une relation avec la personne qui compte le plus pour moi aujourd’hui». Romain, quant à lui, estime que sa situation d’homme gay est privilégiée au sein de la communauté LGBTIQ+. Rarement insulté, menacé ou violenté, ce Parisien d’origine est toutefois révolté par le fait que les actes et propos transphobes demeurent impunis par la législation suisse.

Pour Philipp, travaillant dans une multinationale et quelque peu éloigné du monde militant, participer à l’organisation de cette manifestation est une manière de rattraper le temps perdu: «Auparavant, naïvement, je pensais que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Il m’a fallu un réveil. J’ai commencé à m’impliquer sur ces questions au sein de mon milieu professionnel. Ça m’a ouvert les yeux sur les difficultés que pouvaient rencontrer les personnes LGBTIQ+ en entreprise». Pour trouver un exemple, il ne faut pas chercher très loin. Au moment de rejoindre la Pride, Juliette, encore dans le placard, craignait que son engagement constitue un risque pour sa carrière. Questionnement personnel récurrent pour les LGBTIQ+, Juliette a finalement fait le choix de se définir elle-même et d’être identifiée comme telle, plutôt que d’être licenciée dans le futur du fait de son orientation sexuelle.

Alors que les réactions d’hostilité aux Prides sont encore monnaie courante1>Eurasianet, (https://eurasianet.org/anti-gay-militia-plans-to-thwart-tbilisi-pride, consulté le 20.06.2019)., la Pride genevoise n’en a – sans surprise – pas été exemptée. Taxée de «spectacle indécent et contre-nature» ou encore de «défilement des plus dégénérés mentaux que notre monde ait connu (sic)» par un site extrémiste luttant pour la «survie de la Suisse»2>Résistance Helvétique, (https://resistance-helvetique.org/regions/suisse/gay-pride-a-geneve-le-lobby-alphabetique-monstre-ses-muscles-article-censure-par-facebook/, consulté le 20.06.2019)., la Pride demeure incomprise par une partie de la population. Cette animosité confirme la nécessité d’une telle manifestation dans le paysage romand. Les préjugés qui entourent les Prides se rapportent le plus souvent au caractère «exubérant» et sexuel de ces manifestations. C’est là l’histoire de la communauté LGBTIQ+: rendre le privé public afin de mettre en lumière les injonctions continues qui planent sur les groupes marginalisés. S’émanciper de la sphère purement domestique doit passer par une performance des corps. Queeriser la rue, c’est se réapproprier un espace où nous sommes encore considérés illégitimes par les autres, et par analogie par nous-mêmes.

Comme tant d’autres, Philipp voyait auparavant la Pride comme un événement festif sans pour autant réussir à distinguer les revendications politiques derrière cette manifestation. Romain se souvient qu’à quinze ans, il refusait de s’identifier au côté exubérant des Prides par peur d’y être assimilé: «J’ai toujours essayé de contrôler mon image, à l’école, dans la rue, de ne jamais montrer des signes de mon homosexualité. Aujourd’hui, j’aimerais bien que tout le monde m’assimile à ceci. Je veux être plus libertaire, ne pas rentrer dans le schéma traditionnel de la masculinité auquel on voudrait m’associer.» Philipp a participé à de nombreuses Prides mais ce n’est que récemment qu’il a franchi la barrière entre simple spectateur et manifestant. «C’est une question d’évolution personnelle. Quand je suis arrivé dans le cortège, j’ai eu le sentiment d’être vulnérable, exposé à la vue des passant-e-s. Maintenant, chaque année, j’essaye de participer à une Pride. C’est un investissement personnel et financier mais je me suis rendu compte que, moi aussi, j’avais un rôle à jouer à mon échelle». Traînée à 19 ans par des copines dans une Pride à Vienne, l’expérience de Juliette est plus limitée que celle de Philipp. «C’est la seule Pride à laquelle j’ai participé. A l’époque, je n’avais pas conscience de mon homosexualité. La personne que j’étais n’est plus la même qu’aujourd’hui. En réalité, cette Pride genevoise, c’est comme si c’était ma vraie première Pride».

Il y a autant de manière de manifester qu’il y a de manifestant-e-s. Participer à une Pride est avant tout une démarche individuelle s’inscrivant dans un processus de réalisation et d’affirmation de soi. Entre cause individuelle et universelle, marcher pour l’égalité, c’est marcher pour les autres mais également marcher pour soi.

Réunir pour mieux lutter

Sous l’angle communautaire, la Pride a pour fonction de rassembler. Safe space physique et virtuel pour tout-e-s, la Pride est une plateforme perméable aux récits LGBTIQ+. Elle ouvre une brèche queer spatio-temporelle où tout le monde peut être représenté ou s’y représenter. Juliette et Philipp ont l’impression qu’organiser cette manifestation les a intégrés davantage dans la communauté queer locale. D’après Juliette, «grâce à cette Pride, j’ai eu l’occasion de fréquenter de nouveaux lieux (associations, bars, soirées); quelque part cela m’a donné un prétexte pour y aller. Mon homosexualité est particulièrement récente et je ne savais pas si j’avais la légitimé de fréquenter ces lieux queers. Là, vu que je défendais quelque chose qui était plus grand que moi, j’ai osé».

Pour Juliette, Philipp et Romain, même constat: l’organisation de la Geneva Pride leur a apporté questionnements et rencontres. Après la Pride, tous les trois songent à transformer cet engagement associatif LGBTIQ+ sur le long terme. A défaut de déboucher sur de réels changements légaux, la manifestation permet d’initier le dialogue avec les amis, la famille, autant d’allié-e-s potentiel-le-s, susceptibles de sensibiliser par ricochet d’autres personnes aux enjeux LGBTIQ+. De même, la Pride est un moyen d’interpeller les autorités qui ne peuvent pas détourner les yeux devant la mobilisation.

Dépasser les préjugés, entendre nos revendications et comprendre nos individualités, voilà quelles sont les attentes de l’édition 2019 de cette Pride genevoise. Malgré son caractère éphémère, la Pride a une portée intemporelle, une vocation universelle. Elle transforme le temps d’une marche l’individuel en collectif.

L’union fait la force

Née en septembre 2018, la Fédération romande des associations LGBT compte 15 associations membres qui couvrent l’ensemble de la Suisse romande. Présentation par Didier Bonny, co-président de la structure.

Depuis le début des années 2000, les associations romandes LGBT se réunissaient deux fois par année pour échanger sur leurs activités respectives et confronter leurs points de vue en fonction de l’actualité. Des rencontres riches, mais qui ne pouvaient pas déboucher sur des prises de position communes étant donné l’absence de statuts.

L’année dernière, les associations romandes LGBT ont décidé de palier ce manque et de se fédérer afin que leur voix ait plus de poids non seulement au sein d’une communauté LGBT helvétique forcément majoritairement alémanique, mais également sur le plan politique. L’union fait la force, c’est bien connu. C’est ainsi que le 1er septembre 2018 est née la Fédération romande des associations LGBT qui compte à ce jour 15 associations membres (Alpagai, Asile LGBT, Dialogai, EPICENE, Juragai, Les Klamydia’s, Le PAV, Lestime, Lilith, LWork, Sarigai, Togayther, Vogay, Think Out, 360) qui couvrent l’ensemble de la Suisse romande.

La Fédération a notamment comme objectifs de permettre une collaboration efficace entre les associations membres en vue de la promotion de l’égalité des droits, de la santé physique et psychique des personnes quelles que soient leur orientation sexuelle ou leur identité de genre et de lutter contre toutes formes de discriminations. Il est également dans ses prérogatives de valider le choix du lieu où se déroule la Pride romande.

Depuis sa création, la Fédération romande s’est montrée très active en raison d’un agenda politique chargé sur les questions LGBT. C’est ainsi qu’elle a participé à deux consultations sur le plan fédéral, dont celle sur le mariage civil pour toutes et tous qui vient de prendre fin le 21 juin. La Fédération romande a donné un avis très favorable à cet avant-projet de loi, mais à la condition que soit choisie la variante avec accès au don de sperme. Elle est, en effet, fermement opposée à un mariage qui ne soit pas égalitaire, les droits ne se découpant pas en tranches.

Elle va également mettre toutes ses forces dans la bataille aux côtés des faîtières LGBT nationales afin que la révision de la norme pénale antiraciste, qui inclut dorénavant l’orientation sexuelle mais, hélas, pas l’identité de genre, soit largement soutenue par le peuple lors de la votation du 9 février 2020. Nous avons les mêmes devoirs, nous voulons les mêmes droits.

Didier Bonny

Coprésident de la Fédération romande des associations LGBT.
Plus d’infos: www.federationlgbt-romandie.org

Notes[+]

Programme à retrouver sur www.genevapride.ch

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