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«Prendre des mesures exceptionnelles pour célébrer dignement la grève des femmes»

Dans une lettre ouverte au Conseil d’Etat genevois, le collectif Solidarités Tattes demande la régularisation de trois requérantes d’asile sans papiers.
Asile

Mesdames les Conseillères d’Etat, Messieurs les Conseillers d’Etat,

A l’occasion de la grève des femmes, nous prêtons notre voix aux femmes requérantes d’asile pour que vous preniez en compte les difficultés qu’elles rencontrent, que cela soit dans leur pays, sur la route de l’exil ou lors de l’accueil qui leur est réservé en Suisse.
Beaucoup d’entre elles quittent leur pays pour fuir les violences tant domestiques, militaires (le viol de guerre est pratique courante dans de nombreuses contrées), climatiques qu’économiques, au désespoir de ne pouvoir sauver leur famille de tous ces maux.
Sur la route de l’exil, elles sont les proies faciles des cartels de la traite d’êtres humains. Souvent, elles sont obligées de se prostituer pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Certaines doivent laisser leurs enfants au pays ou en cours de route, pour les préserver des dangers liés à l’exil.

Lorsqu’elles arrivent chez nous, leur parcours traumatique n’est pas pris en compte. On ne les croit pas, elles n’apportent pas suffisamment de preuves concrètes, leurs récits sont jugés contradictoires. Mais comment pourraient-elles se sentir en confiance face aux agents des autorités suisses, pressés de classer les nombreux dossiers et sans une once d’empathie, pour raconter les épreuves subies?

Trop souvent, l’autorisation de rester en Suisse dépend du statut de leur mari. Si ce dernier est au bénéfice d’un permis B, par exemple, elles le perdent au moment du divorce. Si elles ne sont pas mariées, les enfants acquièrent le permis du père, mais pas elles! Le statut de la femme comme principal soutien de la famille n’est tout simplement pas reconnu.

C’est pour toutes ces raisons que, à l’occasion de la grève des femmes du 14 juin 2019, nous vous demandons à vous, haute autorité du canton de Genève, d’intervenir auprès de la Confédération (Secrétariat d’Etat aux migrations) pour que les trois femmes citées ci-dessous puissent voir leur situation pacifiée et légalisée, afin qu’elles puissent concevoir une existence de femme, qu’elles puissent se développer personnellement et accomplir sereinement leur rôle de mère et de soutien familial.

Il s’agit de:
• Mme F.D., béninoise. Elle quitte son pays avec son fiancé pour fuir leurs familles respectives qui s’opposent à leur union. En Libye, le fiancé «disparaît». Arrivée en Suisse, elle est renvoyée en Italie au nom des accords de Dublin. Après plusieurs mois dans la rue, elle revient en Suisse. Enceinte, elle donne naissance à une petite fille, reconnue par son père qui a un permis C., ce qui permet à son bébé d’obtenir un permis B. Pour le moment, le père ne vit pas avec la mère et l’enfant. La Suisse refuse l’asile à F.D. qui a un «papier blanc»! F.D. est très affectée par cette situation administrative qui l’empêche de travailler, la contraint à la dépendance des services sociaux et l’empêche d’envisager une vie normale dans notre pays. Son enfant ne peut pas être intégré à une crèche. Nous demandons pour cette femme le même permis que pour son enfant, un permis B;
• Mme N.G., érythréenne. Elle quitte son pays avec son mari et ses deux enfants pour le Soudan, puis vers la Libye, où elle perd la trace de son mari. Là, elle est séquestrée pendant des mois avec sa fille âgée de 6 ans alors qu’elle est enceinte. Elle arrive en Europe en laissant son fils aîné à Khartoum. Aujourd’hui, un des enfants va à la crèche et l’autre est scolarisée. N.G. bénéficie d’un permis B., mais son fils aîné, âgé maintenant de 13 ans, est toujours au Soudan, où il dort régulièrement dans la rue. Nous demandons un permis humanitaire urgent pour cet enfant, afin qu’il puisse rejoindre sa mère, son frère et sa sœur à Genève;
• Mme L.A., géorgienne. Elle a dû partir de son pays pour pouvoir faire soigner son mari lourdement handicapé après un accident de la route et ne pouvant bénéficier de soins appropriés en Géorgie. Cette femme a décidé de venir en Suisse avec son mari et son enfant de 5 ans, actuellement scolarisé à Genève. Elle assume seule la charge parentale et le handicap de son mari en chaise roulante. Nous demandons un permis humanitaire pour cette femme et sa famille.

Dans les deux premiers cas, la Confédération entérine comme possible la séparation de la mère et de l’enfant. Dans le troisième cas, la Confédération nie le rôle de la femme comme pilier de la famille.

Vous comprendrez que, pour Solidarité Tattes, il est difficile de participer à la grève des femmes de manière sincère avec de telles revendications sur le cœur.

Dans l’espoir que vous saurez prendre des mesures exceptionnelles pour célébrer dignement cette grève des femmes, soutenue par une grande majorité des habitant-e-s de notre canton, nous attendons votre réponse et vous présentons, Mesdames les Conseillères d’Etat, Messieurs les Conseillers d’Etat, nos salutations ­féministes.

Pour Solidarité Tattes.

Opinions Agora Martine Félix Viviane Luisier Asile

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