Chroniques

La Grenade, une révolution oubliée

L'histoire en mouvement

Il y a trente-cinq ans, le 13 mars 1979, à la Grenade, le New Jewel Movement renverse le pouvoir en place et proclame un gouvernement révolutionnaire qui s’inspire ouvertement de l’expérience cubaine. Quatre ans plus tard, les marines étasuniens débarquent sur les plages du petit pays caribéen. L’histoire de la révolution à la Grenade est en effet aussi l’histoire d’une intervention.

La Grenade des années 1970 vit essentiellement de l’exportation de la noix de muscade et du cacao, qu’elle cultive sur un territoire pas beaucoup plus grand que celui du canton de Genève1>Cet Etat insulaire de la mer des Caraïbes comprend l’île principale de la Grenade, l’île Ronde, l’île de Carriacou et l’île de Petite Martinique, toutes situées dans la partie méridionale de l’archipel des Grenadines. Le pays a une superficie totale de 350 km2.. Comme le reste des Caraïbes, l’île a été le témoin des plantations esclavagistes puis au centre des convoitises des puissances coloniales avant d’obtenir son indépendance de la couronne britannique en 1974. Devenue un royaume du Commonwealth, elle est depuis lors dirigée par Sir Eric Gairy, premier ministre, qui gouverne de manière autocratique les quelque 100 000 habitants qui la peuplent.

Une prise de pouvoir en douceur, ou presque. La répression qui touche les opposants politiques au régime, avant comme après l’indépendance, alimente à son tour la rébellion, notamment parmi la classe moyenne cultivée de l’île, dont Maurice Bishop est sans conteste la figure la plus brillante. Fils d’un commerçant, Bishop a étudié le droit à Londres, où il est devenu familier des écrits des grands leaders tiers-mondistes, de Che Guevara à Julius Nyerere. De retour à la Grenade, il a fondé en 1973 le New Jewel Movement (NJM), d’obédience marxiste-léniniste, avec d’autres étudiants désireux de mener leur pays sur la voie d’un développement national. Au cours des années suivantes, le mouvement ne tarde pas à gagner en popularité auprès des forces armées, déçues par la tournure qu’a prise le gouvernement depuis l’indépendance.

Très impopulaire, le régime de Gairy ne résiste donc que quelques années aux velléités du NJM: le 13 mars 1979, quelque deux cents militants du mouvement s’emparent du pouvoir à la suite d’opérations qui font trois victimes. Rapidement, le nouveau gouvernement révolutionnaire met en place des politiques de santé et d’éducation publiques afin de sortir la majorité de la population de la misère et de l’analphabétisme. Les organisations de masse qui sont créées visent également à instaurer un esprit volontariste chez les Grenadiens, que ce soit à travers le travail volontaire dans les champs ou la mise en place de milices de défense nationale. Le soutien apporté par Cuba dès le lendemain de la révolution permet également à la Grenade de bénéficier de l’aide d’ingénieurs et de médecins venus de la Havane.

L’Oncle Sam veille. Le processus révolutionnaire ne tarde pas à éveiller l’animosité de l’administration Reagan, qui voit évidemment d’un mauvais œil l’instauration d’un gouvernement pro-castriste dans les Caraïbes. Alors que la Grenade construit un nouvel aéroport en vue de développer l’industrie touristique, le Pentagone y décèle la main de Moscou et un potentiel point de chute pour les avions soviétiques. En octobre 1983, alors que le gouvernement grenadien est déchiré par des luttes intestines qui aboutissent à l’assassinant de Bishop, les Etats-Unis prétextent la mise en danger de leurs quelque six cents ressortissants étudiants pour intervenir. Le 25 du même mois, leurs troupes débarquent sur les plages de la Grenade et viennent à bout des unités locales en quelques jours.

Pourtant, comme le décrit un témoin de ces évènements, «nombre des mesures adoptées devaient bien davantage aux doctrines propagées par les organisations humanitaires Oxfam et War on Want qu’à celles proposées par Andropov ou le général Jaruzelski.»2>Cité dans Le Monde diplomatique de décembre 1983. A l’instar d’autres processus développementalistes à coloration tiers-mondiste, le régime de Bishop n’hésite en effet pas à faire recours aux investissements étrangers pour stimuler l’économie du pays. Peu avant son assassinat, il se rendra même aux Etats-Unis pour conclure des accords commerciaux, sans succès. L’intervention relevait probablement d’un désir de punir un régime non aligné sur la politique nord-américaine, après des années 1970 pour le moins compliquées pour l’impérialisme étasunien.

Les affrontements de la fin octobre 1983 auront également causé la mort d’une vingtaine de Cubains, présents alors sur l’île. Lors de la cérémonie leur rendant hommage, à la Havane, Fidel Castro aura ces mots pour Maurice Bishop: «Les Etats-Unis, en voulant tuer un symbole, ont tué un cadavre et, au contraire, ils ont ressuscité le symbole.»

Notes[+]

L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation des peuples opprimés, des femmes et de la classe ouvrière, par l’organisation de conférences et la valorisation d’archives graphiques, info@atelier-hem.org

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