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Un centre fédéral dédié aux expulsions à Genève?

Retraçant l’histoire des centres fédéraux d’asile dans le canton de Genève, marquée par une forte opposition des milieux de défense du droit d’asile, Aldo Brina estime que l’implantation d’une nouvelle structure de ce type au Petit-Saconnex aurait à compter avec un regain de mobilisation citoyenne.
Asile

Avec la restructuration de l’asile, les Genevois devraient voir se construire dans leur canton un centre fédéral d’asile dit «de départ» et des nouvelles places de détention administrative. Ce complexe est prévu en bout de piste de l’aéroport, sur la commune du Grand-Saconnex. Le bâtiment ne serait pas terminé avant 2022, mais les réfugiés qui habitent aujourd’hui dans le foyer cantonal des Tilleuls (qui se trouve actuellement sur la parcelle) devraient déménager en 2019 déjà.

Ce projet est lié à la restructuration de l’asile. Dans le cadre de cette réforme, Genève continuera d’accueillir une part de personnes à protéger durablement. Mais la capitale des droits humains obtiendrait aussi un rabais sur le nombre de requérants qui lui seraient attribués en échange de l’exécution d’une tâche particulière: servir de pôle de détention administrative et d’expulsion.

Dans l’absolu, c’est-à-dire sans tenir compte de la fonction sordide de ce nouveau centre, rappelons que ce ne serait pas la première fois qu’un centre fédéral d’asile ouvrirait à Genève. Nombreux sont ceux qui s’en souviennent: il y eut tout d’abord un centre d’enregistrement à Cointrin, d’abord cantonal puis géré par Berne dès janvier 1988. Ce centre déménagea ensuite en 1992 vers Carouge, à la Praille, où il resta ouvert jusqu’en 1998, avant d’être déplacé à Vallorbe.

Plus de sept classeurs d’archives, portant tous sur les centres fédéraux à Genève, sont posés devant moi au moment où j’écris ces lignes. C’est que ces années furent marquées par une forte mobilisation des milieux genevois de défense du droit d’asile. Deux piliers de ce réseau, l’association elisa-asile et l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA), se sont d’ailleurs constitués à ce moment-là. Qui informe les requérants d’asile? Qui leur offre un peu d’humanité entre deux étapes de procédure? Qui défend leurs droits? La société civile a-t-elle accès au centre? Que dit-on de l’action de l’Etat lorsque les demandes d’asile augmentent (au moment de la guerre du Kosovo) et que des abris PC sont ouverts? Les questions de l’époque ne sont pas différentes de celles d’aujourd’hui, mais s’égrainent en un long feuilleton de rapports de force entre la société civile, qui s’en nourrit, et les autorités, qui s’épuisent. Cette tension atteindra son paroxysme lors de l’épisode du «mur de la honte» en juin 1997: un mur a été construit devant la terrasse du centre de la Praille où les requérants d’asile peuvent sortir prendre l’air, au motif que le bruit dérangerait certains voisins. Ce mur sera mystérieusement détruit en pleine nuit… et la société civile d’organiser une fête pour célébrer sa disparition: «nous avons lutté: nous avons gagné», claironne le tract d’invitation.

Peu de temps après, l’Office des réfugiés annonce le départ du centre pour Vallorbe. Explication officielle: le coût du centre situé à Carouge est trop élevé et son emplacement se trouve désormais en plein quartier d’habitations (pour l’administration fédérale, la place des réfugiés, c’est dans les vieilles casernes ou à côté des tarmacs!). Mais parmi les militants circule une autre thèse: l’autorité fédérale déménage le centre vers une petite ville où l’on se mobilisera moins pour les droits des requérants d’asile. Gouaille typiquement genevoise? Sûrement un peu. Pour Bruno Clément, qui signe un éditorial du Courrier, il s’agit pourtant bien pour l’autorité d’«isoler les requérants des solidaires».

Alors que penser du centre fédéral du Grand-Saconnex? Sa forme est abjecte: grillagé et ultra sécurisé, accolé à la bruyante et polluante piste d’aéroport, consacré aux renvois Dublin à la chaîne, il représenterait le visage le plus laid de notre politique d’asile ou, dans le cas d’espèce, de notre politique de non-asile. C’est pour cette raison, conjuguée à celle du coût du centre qui se chiffre en dizaines de millions, que de plus en plus d’acteurs s’engagent contre sa construction. L’abandon du projet, c’est la priorité… mais si les autorités parvenaient quand même à l’imposer? A la lumière des années de lutte engendrées par les précédents centres fédéraux à Genève, il faudrait aussi considérer le regain de mobilisation que l’édifice provoquerait et les nombreuses difficultés qui se dresseraient sur le chemin du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) dans l’exécution d’une politique qu’une grande partie des Genevois aimerait plus humaine.

L’auteur est chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant (CSP), Genève.

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