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«Lettre d’un pédé ‘islamogauchiste’»

«La machine de l’homonationalisme s’enclenche à nouveau.» Julien Repond revient sur la campagne de dénigrement suscitée par la prise de position contre le mariage entre personnes de même sexe d’une opposante musulmane à la loi sur la laïcité.
Laïcité

La campagne sur la Loi sur la «laïcité» de l’Etat battant son plein, la question des droits LGBTIQ s’est invitée dans le débat il y a dix jours. Une journaliste de la Tribune a questionné une opposante musulmane à cette loi au sujet d’une position qu’elle a prise il y a une année contre le mariage des personnes de même sexe. La Genève sensible à l’égalité des droits n’a pas aimé. L’homo que je suis non plus. Mais cette personne n’était ni la première, ni la dernière à s’exprimer en faveur de certains droits et en défaveur d’autres… Passée la réprobation il n’y avait pas grand-chose à ajouter.

C’était sans compter l’entrée en scène de laïcards, islamophobes et autres défenseurs de cette LLE, qui se sont engouffrés dans la brèche. La figure d’une femme voilée présentée comme «obscurantiste et homophobe» a été agitée tel un épouvantail sur les réseaux sociaux. Dans son sillage, des opposant-e-s à cette loi arbitraire, liberticide et sexiste, ont été taxés d’«islamogauchistes» rétrogrades. Il aura suffi de la prise position d’une personne pour que la machine de l’homonationalisme s’enclenche à nouveau… Comme si «les musulmans» bénéficiaient d’un quasi-monopole sur les LGBTIQphobies.

On s’étonne que des partisan-e-s de la loi, politicien-ne-s de droite ou personnalités chrétiennes, aient été épargnés. Alors que ces gens invoquent l’égalité de droits et de traitement pour défendre leur soutien à la loi, rares sont les journalistes ou internautes qui se sont fendus d’un commentaire sur leurs positions homophobes. Rien non plus sur les nombreuses positions sexistes de certains de ces acteurs, qui, pour l’occasion, se posent en chantre des droits des femmes. Si la loi passe, des dizaines de femmes seront pourtant licenciées et renvoyées à la maison.

Cette inégalité de traitement aurait dû faire réagir. Pourtant rien… C’est sans doute qu’on s’est habitué à la position de boucs émissaires qu’occupent désormais les personnes de confession musulmane dans les sociétés occidentales. Car ce n’est pas parce que ses propos contre le mariage pour tous mettent une élue verte en porte-à-faux avec son parti qu’ils ont tant interpellé. La démesure de la polémique est clairement due au fait que cette femme est musulmane et voilée, signe d’un climat islamophobe détestable.

Malgré l’énergie déployée par les partisans de la loi, une partie des LGBTIQ n’a pas oublié d’où sont venus et d’où viennent encore les coups. Nous ne sommes pas prêts à nous laisser instrumentaliser par des conservateurs qui tentent d’opposer les droits des un-e-s à ceux des autres tout en faisant oublier que ce sont les institutions de nos pays, pilotées par des élites conservatrices, qui sont responsables du blocage de toute avancée en matière d’égalité de droits pour les personnes LGBTIQ (mariage, adoption…), en plus de fermer les yeux sur l’homo et la transphobie crasse de notre société.

Ne nous laissons pas aveugler. La loi sur laquelle nous votons propose de limiter la liberté individuelle d’une part de la population. Si elle est acceptée, des personnes devront cacher, comme si c’était honteux, des parts essentielles de leurs identités, tout comme les personnes LGBTIQ à qui l’on a expliqué durant des décennies qu’elles n’avaient pas droit d’être elles mêmes. Contraindre des personnes à cacher ce qu’elles sont profondément: cela est tout simplement inacceptable.

Parce que nous savons ce que signifie être discriminé en droit et dans les faits; parce qu’il faut défendre, contre une société de l’uniformité où seuls des hommes blancs hétéro ont droit de cité, une société où les différences de toutes et tous peuvent s’exprimer; parce que défendre la liberté de chacun-e de porter un signe religieux et de travailler avec ne s’oppose pas, au contraire, à une lutte contre les obscurantismes de tous genres et les fondamentalismes religieux; parce que forcer une personne à retirer un signe religieux qu’elle a choisi est aussi violent que de forcer une personne à en porter un; parce que ce sont les institutions, aux mains d’une élite bourgeoise, qui empêchent les personnes LGBTIQ d’accéder à l’égalité; parce que les libertés fondamentales ne se troquent pas; il est plus que jamais nécessaire de s’opposer à cette loi.

Julien Repond est militant à Solidarités.

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