Chroniques

Un pavillon pour l’Helvetius

En coulisse

A l’heure où la question de l’immigration est plus brûlante que jamais, à l’heure à laquelle des milliers de gens fuient au péril de leur vie des situations de guerre ou des conditions économiques invivables, à l’heure à laquelle des compatriotes de bonne volonté demandent un pavillon suisse pour l’Aquarius et à l’heure à laquelle l’UDC comme à son habitude décide de s’y opposer et prépare de nouvelles initiatives anti-immigration drastiques, il est opportun de rappeler à ce parti d’extrême-droite et à tous les supposés patriotes helvètes xénophobes un événement fondateur de notre Histoire, si ce n’est l’événement crucial qui décida du destin de notre peuple. Cette année marque le 2076e anniversaire de la tentative de migration des Helvètes en direction de l’ouest de la Gaule, tentative noyée dans le sang par la puissance impériale de l’époque, Rome, et par son proconsul dans la région, le fameux Jules César.

De quoi s’agit-il? En l’an 58 avant Jésus-Christ, la tribu des Helvètes, qui occupe environ les deux tiers de la superficie de la Suisse actuelle, est un peuple celtique, essentiellement paysan et composé de guerriers redoutables, ainsi que le décrit Jules César dans son ouvrage La Guerre des Gaules. Les Helvètes prennent la décision de quitter purement et simplement leur territoire. Les raisons de cette décision ne sont pas toutes connues, mais la plus vraisemblable réside dans la menace perpétuelle que font courir sur les habitant-e-s les attaques des Germains depuis le nord. Des contacts sont pris avec la tribu des Santons, autre peuple celte, qui consent à accueillir les Helvètes dans une partie de leur territoire en Gaule [à l’embouchure de la Gironde]. 368 000 individus, femmes, enfants, hommes, vieillard-e-s quittent alors l’actuelle Suisse, avec leurs richesses et leurs animaux, en brûlant toutes leurs habitations derrière eux. C’est leur vie qu’ils emmènent avec eux sur les routes hostiles et escarpées.

Le chemin le plus court passe par une ville allobroge, sous domination romaine, du nom de Genève. Le récent proconsul des Gaules, Jules César, est alerté du mouvement de population; il accourt à Genève. Une délégation helvète le rencontre et lui demande l’autorisation de passer par Genève et par une partie de la province sous domination romaine. César refuse. Il fait brûler le pont qui permet de quitter Genève en direction du reste de la province. Une partie des Helvètes tente de traverser le Rhône malgré tout; ils sont impitoyablement massacrés par les légions. Dans le même temps, César fait construire un mur (!) qui part de Genève jusqu’au Jura pour empêcher les Helvètes de poursuivre leur migration par un autre chemin.

Ces derniers concluent un accord avec la tribu des Séquanes, qui leur permet de passer par un étroit passage situé vers Fort-l’Ecluse. César lancera de nouvelles attaques contre les Helvètes, qui se défendront vaillamment, infligeant de lourdes pertes à ses légions. Mais l’impérialiste en chef a plus d’un tour dans son sac. Il grossit les rangs de ses légions de tribus celtes alliées des Romains, parmi lesquelles les Éduens. Lors de la bataille finale de Bibracte, les Helvètes seront défaits. César obligera les survivant-e-s (110 000 personnes!) à retourner sur leur territoire, pour faire tampon avec les Germains.

Pourquoi César s’est-il acharné sur les Helvètes, qui ne nourrissaient pas d’intentions belliqueuses envers Rome? César avait besoin d’une guerre pour asseoir sa réputation à Rome, agrandir sa puissance militaire et financière. Il prit prétexte de cette migration et du désordre supposé qu’elle entraînait, pour commencer une série de batailles qui s’étendront jusqu’en 51 av. J.-C., batailles connues sous l’appellation générale de Guerre des Gaules, à l’issue desquelles il franchira le Rubicon pour devenir dictateur à Rome.

Ainsi nos ancêtres furent-ils sacrifiés sur l’autel de la raison d’Etat dans ce qu’elle a de plus violement cynique. La Confédération Helvétique tire donc son nom d’une tribu d’émigrants, défaits par une méga puissance persuadée d’agir au nom des intérêts d’une civilisation supérieure et adepte du «diviser pour régner» – à noter que dans les collaborateurs gaulois de César, on trouvait au début de la Guerre des Gaules, un certain chef arverne, Vercingétorix, qui se réveillera tardivement, mais sûrement!

Une histoire édifiante, à partir de laquelle les lectrices et lecteurs auront sûrement tracé de nombreux parallèles avec notre époque. Il est incompréhensible que l’extrême droite ose s’approprier les terme Helvètes et Helvétie, tant ils sont porteurs de valeurs antinomiques avec son idéologie. A nous, antiracistes viscéraux, de nous réapproprier l’épopée helvète en solidarité avec tou-te-s les émigrant-e-s du monde!

Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Prochain spectacle: La Route du Levant, du 13 au 17 novembre, dans le cadre de la Semaine des droits humains, Uni Dufour. www.unige.ch

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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