Fumée blanche pour le cannabis?
Le Canada s’apprête à faire œuvre de pionnier. Dès demain, la consommation, la production et la vente de cannabis récréatif seront légalisées et régulées sur l’ensemble de la fédération. Après l’Uruguay et dans une certaine mesure les Pays Bas, le projet développé par Justin Trudeau s’annonce comme un test important pour les tenants de la légalisation du chanvre. Menée à l’échelle industrielle au sein d’une moyenne puissance occidentale, l’expérience sera observée attentivement à l’étranger. Et bientôt imitée?
Ambitieux, le plan du premier ministre se place à l’intersection de trois impératifs. Sanitaire, le premier objectif consiste à sortir les consommateurs de leurs ghettos et à ouvrir un dialogue avec eux, tout en offrant des produits standardisés et sûrs. Démystifiée, l’herbe perdra-t-elle de son attrait? En tout cas, les bénéfices engrangés par l’Etat devraient renforcer la recherche scientifique et la prévention.
Car, ne l’oublions pas, si le cannabis est moins nocif que l’alcool ou l’ecstasy; à grosse dose ou auprès de certaines populations, il n’est pas bénin. Légaliser, ici, ne signifie pas promouvoir mais remettre l’autonomie, la santé et le bien-être du consommateur potentiel au centre du projet politique. A contrario, la prohibition met l’accent sur le produit, avec le résultat que l’on sait.
Pendant naturel de la première, la seconde ambition d’Ottawa est de porter un coup aux mafias, seules vraies bénéficiaires de la prohibition. D’abord en les privant d’une source importante de financement. Ensuite en redirigeant les efforts de la justice et de la police vers des besoins plus urgents que la traque au «pot».
Enfin, face aux échecs de la prohibition, les Canadiens – pragmatiques s’il en est – ont compris l’intérêt de prendre les devants. Si l’expérience Trudeau est un succès, elle sera imitée. Un marché gigantesque s’ouvrirait alors aux entreprises canadiennes, qui disposeraient d’une expérience et d’une force de frappe uniques. En témoigne l’afflux de capitaux vers les entreprises du secteur qui a fait enfler une véritable «bulle cannabique», sans commune mesure avec les bénéfices attendus ces prochaines années au Canada.
Mais pour que ces millions ne partent pas en fumée – en même temps que les espoirs des supporters de la légalisation –, il faudra gommer le sentiment d’impréparation qui prédomine actuellement. En laissant les provinces, voire les municipalités, réglementer à leur guise, M. Trudeau a pris le risque de l’incohérence. Or la régulation est une mécanique fine. Que le cannabis légal manque ou qu’il soit peu accessible, alors le marché noir fleurira. Que l’herbe devienne surtout un business, et la prévention s’effacera.
Reste qu’on serait quand même surpris de voir la légalisation échouer davantage que la prohibition!