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Flixbus, l’Uber du bus

Start-up munichoise créée en 2013, Flixbus couvre aujourd’hui 28 pays européens. L’entreprise de transport en bus longue distance s’est introduite sur le marché helvétique en juin 2018, grâce à un partenariat avec Eurobus. Yves Sancey, du Syndicat du personnel des transports (SEV), met en garde: «Le low cost menace le transport suisse». Eclairage.
Flixbus, l’Uber du bus
Grâce à des «partenariats», ou plutôt à la sous-traitance à des entreprises de bus, Flixbus se répand très rapidement en Europe et aux Etats-Unis, et pas uniquement dans le marché de l’autobus. KEYSTONE
Flixbus

Flixbus a mangé la concurrence en quelques années. En cinq ans, l’entreprise munichoise est passée du statut de start-up à celui de numéro un du bus longue distance en Europe. Et cela en ne possédant qu’un seul car. En 2018, l’entreprise relie 1700 destinations dans 28 pays, de Stockholm à Madrid en passant par Varsovie. Quarante millions de passagers ont été transportés dans un bus vert et orange en 2017. Alors que Flixbus a débarqué en juin sur le marché suisse en s’alliant à Eurobus, il vaut la peine de revenir sur les raisons de cette ascension fulgurante. Sa stratégie agressive et expansionniste menace en effet le système de transport helvétique.

Partenariats ou sous-traitance

Flixbus a été fondée en 2013 à Munich par trois jeunes entrepreneurs. Elle n’a rien d’une entreprise de bus classique mais s’approche davantage d’Uber ou de Airbnb qui ne possèdent ni voitures ni appartements. Flixbus ne possède aucun autocar – si ce n’est un pour être reconnue légalement comme une entreprise de bus – et n’emploie directement aucun chauffeur. Elle travaille avec 250 transporteurs privés répartis un peu partout en Europe. Son modèle économique est basé sur ce qu’elle appelle des «partenariats» – on devrait plutôt parler de sous-traitance – avec des entreprises autocaristes locales souvent familiales, actives de longue date. Ces sous-traitants roulent avec leurs propres bus et emploient près de 7000 chauffeurs qui, à la différence d’Uber, ne sont pas considérés comme des auto-entrepreneurs.

Le transporteur sous-traitant empoche les trois-quarts du prix du ticket, le dernier quart repartant à Munich. L’achat des bus aux normes Flixbus (peinture verte, accès wifi gratuit, sièges confortables, etc.) est toutefois à sa charge. Avec un coût pouvant monter à 400 000 euros, ce n’est pas anodin! Si Flixbus fixe le prix du billet, qui peut passablement varier, c’est le sous-traitant qui fixe le salaire des chauffeurs. Ce modèle n’est pas nouveau. Il a été copié sur celui de l’anglais National Express qui s’est imposé au Royaume-Uni après la dérégulation des bus dans les années 1980 en sous-traitant des services à des compagnies d’autocars locales.

Plateforme de mobilité

Flixbus gère la planification du réseau, du développement des lignes, du service client, de la vente et du marketing ainsi que du service de réservation et de billetterie qu’elle qualifie «d’intuitif». Le but est de plaire à un public-cible jeune avide de nouvelles technologies, moins regardant sur la qualité du transport et la durée du voyage que sur le prix, bas, du ticket. Pour cela, Flixbus mise à fond sur les applications smartphone, le wifi gratuit à bord et le suivi GPS des bus en temps réel. L’opérateur allemand peut ainsi se vanter de l’alliance inédite entre la technologie start-up, l’esprit entrepreneurial d’internet et l’industrie du transport.

Fusions et acquisitions

La libéralisation des bus longue distance démarre en Allemagne en 2013. Flixbus se lance dans l’exploitation de quatre lignes en Bavière et fait face à douze concurrents. Comment a-t-elle avalé cette concurrence pour accaparer en quatre ans 93% de parts de marché en Allemagne? Les trois fondateurs ont compris qu’il fallait aller vite et construire un réseau national. Pour cela, les fusions et acquisitions ont permis de brûler les étapes.

En 2015, ils rachètent la start-up rivale de Berlin MeinFernBus. Ils s’étendent en Italie, Belgique, Scandinavie et dans les pays de l’Est. Dans la perspective de la libéralisation du marché des cars longue distance prévue par la Loi Macron, ils lancent une filiale à Paris desservant progressivement plus de 120 villes françaises. En 2016, ils rachètent les activités continentales de Megabus leur permettant d’accroître leur réseau européen. Ils intègrent les activités de l’allemand PostBus. Ils font de même en 2017 en Autriche avec Hellö et en 2018 en Suède avec Swebus.

L’arrivée des fonds d’investissement

Comment Flixbus a-t-elle pu faire ces acquisitions avec une activité qui n’est devenue rentable en Allemagne qu’à partir de 2016? Le responsable du deal avec MeinFernBus, c’est Jörn Nikolay, le chef pour l’Allemagne de General Atlantic, un fonds d’investissement américain qui a investi dans 250 entreprises dont… Uber et Airbnb. General Atlantic a investi un montant plusieurs centaines de millions dans Flixbus qui lui appartient depuis à hauteur de 30%. D’autres acteurs y ont investi, comme le fonds d’investissement américain Silver Lake ou le constructeur Daimler.

Avec des partenaires financiers puissants et réceptifs à une stratégie privilégiant la croissance du chiffre d’affaires avant celle du bénéfice, on comprend mieux la force de frappe et l’appétit de Flixbus. D’autres concurrents comme Deutsche Bahn ont abandonné la partie après deux années déficitaires. A partir du moment où l’entreprise représentait 80% du marché allemand, en 2016, elle est devenue bénéficiaire. Et le prix moyen des tickets de bus allemands a augmenté de 18% entre 2015 et 2017 (chiffres fernbusse.de).

Etats-Unis, trains et…. avions.

En 2016, Flixbus est devenue une marque d’une entreprise qui l’englobe: Flixmobility. Le changement n’est pas anodin car il témoigne d’un intérêt de l’entreprise pour de nouveaux marchés de la mobilité. En août 2017, sa filiale FlixTrain obtient une licence d’entreprise de chemin de fer. Elle reprend ensuite la liaison Berlin-Stuttgart puis, en mars 2018, la ligne Hambourg-Cologne. Pour un des directeurs de Flixbus, «le train est juste un bus plus grand». Flixmobility veut étendre le modèle du bus au train en recourant à des partenariats avec des sous-traitants privés expérimentés.

Dans sa course en avant vers de nouveaux territoires, Flixbus se diversifie aussi géographiquement et s’attaque au marché américain du bus longue distance depuis mai 2018. Autre diversification, Flixbus est en contact avec diverses compagnies aériennes, dont Lufthansa, en vue d’une coopération pour qu’avec un seul ticket on puisse se rendre de la maison à son lieu de vacances.

Arrivée de Flixbus en Suisse

Flixbus s’intéresse au marché suisse depuis quelques années mais, jusqu’à récemment, n’avait pas trouvé la clé pour exploiter des lignes de bus à l’intérieur du pays. Elle dispose certes de nombreuses bases dans les grandes et petites villes suisses. En raison de l’interdiction du cabotage, elle ne pouvait qu’acheminer des passagers en Suisse depuis une destination étrangère et vice-versa. Mais, depuis un rapport du Conseil fédéral d’octobre 2017, le verrou des bus longue distance en Suisse s’est brisé. Le SEV avait dénoncé ce «changement de paradigme majeur». En février 2018, l’Office fédéral des Transports (OFT) a accordé à Domo Swiss Express une première concession pour exploiter dès le 10 juin les trois premières lignes de bus longues distances à bas prix. En avril, la compagnie argovienne Eurobus (lire ci-dessous) déboursait environ 2 millions de francs pour prendre une participation majoritaire dans sa concurrente Domo.

Depuis juin, Flixbus est de la partie

Grâce à un partenariat avec Eurobus, elle accède au marché suisse avec trois lignes reliant les principales villes du pays. Flixbus met à disposition son système de réservation et de billetterie en ligne. Eurobus fournit le matériel roulant, le personnel et se charge de la tarification et des itinéraires. Six autocars standard desservent les villes helvétiques. A la mi-décembre, six nouveaux bus à deux étages entreront en service. Eurobus ayant fait d’autres demandes de concessions, on ne doute pas que Flixbus s’étende rapidement en Suisse. A moins que le Parlement oppose clairement son veto.

Pour le Syndicat du personnel des transports (SEV), l’arrivée de Flixbus représente un «réel danger pour les transports publics suisses et pour le rail en particulier. Les conditions sociales et salariales des sous-traitants de la multinationale allemande rendent plus que nécessaire la conclusion d’une convention collective ». Le SEV voit dans cette expansion des bus longue distance une «concurrence inacceptable pour le rail» pour lequel la Confédération a pourtant investi des milliards. Un argument que reprend également l’Association transports et environnement (ATE). Malgré les efforts de marketing déployés par Flixbus pour vanter la dimension écologique du transport via ses bus verts, l’ATE rappelle que, «à capacité égale, les autocars grandes lignes rejettent jusqu’à dix fois plus de CO2 que les trains».

Barbara Spalinger, vice-présidente du SEV, critique le choix de l’OFT d’octroyer des lignes, «un choix adopté sans qu’aucune décision politique de principe n’ait été prise». Pour elle, à moyen terme, le système de transports publics suisses, rigoureusement tarifé, non seulement sera égratigné par la demande de davantage de concurrence, mais «sera anéanti. Parce que le chemin de fer sera peut-être en manque de recettes permettant d’accorder des subventions croisées à des lignes non rentables».

Le partenariat conclu entre Flixbus et Eurobus inquiète la présidente du Conseil d’Etat vaudois et membre de la Conférence des directeurs cantonaux des transports publics, Nuria Gorrite: «Cette collaboration ressemble à une façon pour Flixbus de mettre en place une offre en Suisse sans avoir besoin d’une autorisation. Or, les bus longue distance ne s’inscrivent pas dans le système des transports publics et le fragilisent en cassant les prix» (Bilan, 20.6.2018).

Les dégâts potentiels sur le système suisse des transports sont à prendre très au sérieux. Vu la stratégie très agressive et expansionniste de Flixbus, on ne doute pas de sa volonté de s’étendre encore bien davantage en Suisse, «un marché intéressant», selon le fondateur de Flixbus André Schwämmlein cité par la Luzerner Zeitung (19.2.2018). Il faut en effet garder à l’esprit que la demande de concession d’Eurobus pour sept lignes internes, déposée en décembre 2017 auprès de l’OFT, suit son cours.

EUROBUS

Eurobus se présente comme le plus grand autocariste privé de Suisse. Appartenant au groupe argovien Knecht, il emploie 500 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 125 millions de francs, selon ses propres données. Créé en 1909 par la famille Knecht à Brugg, dans le canton d’Argovie, le groupe Knecht Voyages est le quatrième plus grand tour-opérateur de Suisse. Eurobus dispose d’une flotte de 260 minibus, bus et autocars. Début juillet 2018, une délégation du SEV avait été reçue par la direction d’Eurobus et lui avait fait part de sa volonté d’arriver prochainement à la conclusion d’une CCT dans le domaine du bus longue distance. YSA

Ce texte est paru dans SEV, le journal du Syndicat du personnel des transports, n° 12, 13 septembre 2018.

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