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Sisyphe est Guatémaltèque

Sisyphe est  Guatémaltèque
Des dizaines de milliers de protestataires, conduits par les étudiants, ont résolument pris parti, jeudi dernier, contre le président, Jimmy Morales. Keystone
Guatemala

Un président accusé de corruption qui congédie la mission juridique de l’ONU (CICIG) ayant enquêté sur lui. Avec un brin de storytelling et une pincée d’intérêts géopolitiques convergents, la presse internationale aurait pu faire ses choux gras de l’affaire qui secoue actuellement le Guatemala. Las. Trop sage, l’opposition guatémaltèque n’a pas su populariser ses martyrs, les leaders sociaux assassinés au compte-goutte – sept en trois mois – n’ayant jamais attiré les caméras.

Jeudi dernier, la rue guatémaltèque a pourtant affiché son ras-le-bol. Malgré les menaces des militaires, des dizaines de milliers de protestataires, conduits par les étudiants, ont résolument pris parti contre le président, Jimmy Morales, et en faveur de cette CICIG qui, en douze ans d’activités dans leur pays, a permis à plusieurs scandales d’éclater.

Rappelons les faits: inquiété pour le financement de sa campagne, cet ancien pourfendeur de la corruption a déclaré persona non grata le chef de la CICIG, le Colombien Iván Velásquez1M. Velásquez a été récompensé hier par le prix Right Livelihood, connu sous le nom de «Prix Nobel alternatif», lire aussi en page 8., qui avait eu l’outrecuidance de prôner la levée de son immunité. Quatre jours auparavant, le 31 août, M. Morales avait annoncé le non-renouvellement du mandat de la commission onusienne au-delà de septembre 2019. Tancé par la Cour constitutionnelle, le président s’est entêté, exigeant de l’ONU que M. Velásquez soit immédiatement remplacé. Sans succès, le secrétaire général, António Guterres, demeurant ferme.

A première vue, le chef de l’Etat semble acculé. Le 5 septembre, le Groupe des 13, plateforme internationale appuyant la coopération au Guatemala, dont font partie l’UE et la Suisse, réitérait son soutien à la CICIG et à M. Velázquez.

M. Morales est pourtant loin d’avoir perdu la partie. Dans sa manche, il dispose du soutien indéfectible de l’oligarchie – et donc des médias locaux – pour laquelle il avait fait figure de successeur idéal d’Otto Pérez, le vieux général démissionné de la présidence en 2015 pour corruption. Elu en chevalier blanc, Jimmy Morales a depuis montré son vrai visage, par exemple en proposant une réforme du Code pénal vite baptisée le «pacte des corrompus»… Le retour de bâton ne pouvait épargner la CICIG.

Autre atout majeur pour Jimmy Morales: le soutien de plus en plus marqué des Etats-Unis, alors même que Washington semblait s’être réjoui des précédents nettoyages dans cette arrière-cour un peu trop infestée de mafias. Confronté à l’incertitude au Mexique – où Andrés Manuel López Obrador doit être investi dans deux mois –, Donald Trump préfèrera sans doute dorloter son fidèle allié du Guatemala. Une perspective qui devrait aussi modérer les indignations européennes…

Enfin, on ne pariera pas que les Guatémaltèques eux-mêmes soient prêts à se soulever avec la même vigueur qu’en 2015. Avoir manifesté durant des mois pour renverser Otto Pérez et se retrouver à la case départ trois ans plus tard: il y a de quoi perdre foi dans la démocratie et l’Etat de droit! I

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