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Le climat n’est plus de saison

Le climat n'est plus de saison 1
Des manifestations contre l'acquisition du pipeline ont eu lieu à Vancouver le 29 mai. KEYSTONE
Canada

Près de 10 milliards de francs d’argent public pour acquérir, puis doubler, un pipeline auquel même son promoteur ne croit plus: l’invraisemblable annonce mardi du gouvernement canadien a fait l’effet d’une bombe. Car ce n’est pas n’importe quel oléoduc que les contribuables sont appelés à sauver, on parle ici du fameux Trans Mountain (TMP), prévu pour véhiculer chaque jour des centaines de milliers de barils de sable bitumineux jusqu’à la côte pacifique.

Elevée au rang de priorité nationale par le premier ministre, Justin Trudeau, la nouvelle conduite doit faciliter la vente de pétrole non conventionnel à la Chine. Assise sur des réserves immenses, la province de l’Alberta voit dans ce projet l’espoir de prolonger de vingt ans son actuel boom pétrolier. Mais Edmonton se heurte au veto de la Colombie-Britannique, qui a saisi la justice fédérale. La province côtière, dirigée par le Nouveau parti démocratique (gauche), refuse de se voir souillée, notamment par 400 cargos pétroliers supplémentaires par an. Elle bénéficie de l’appui de la plupart des communautés autochtones et des écologistes qui, de Montréal à Vancouver, rappellent que l’extraction des sables bitumineux est non seulement destructrice de l’eau et de la terre, mais qu’elle émet, au Canada, d’avantage de CO2 que l’ensemble du parc automobile national!

Incertain, le bras de fer a poussé la transnationale texane Kinder Morgan, propriétaire de l’actuel pipeline conventionnel et promotrice du projet d’extension, à suspendre ses investissements, malgré la promesse de Justin Trudeau de couvrir d’éventuelles pertes dues à la procédure juridique.

Mardi, Ottawa a donc franchi un nouveau pas. En nationalisant le futur ouvrage, le gouvernement fédéral neutralise presque à coup sûr le recours provincial. Et sans dire où il puisera la somme nécessaire, il tient son engagement de mettre le risque financier sur le dos des Canadiens, le pipeline devenant public au moins… le temps que le projet se fasse.

Comment un premier ministre qui s’était fait naguère le champion de la lutte climatique peut-il se démener pareillement pour l’une des pires sources d’énergie imaginées par l’homme? A ce prix, il est aisé de comprendre que l’argument de l’emploi – des milliers durant la construction puis des centaines pour l’exploitation – constitue un prétexte. L’objectif est bien de renforcer la position négociatrice des sociétés pétrolières de l’Alberta, aujourd’hui dépendantes de leurs clients étasuniens.

Libéral de façade comme beaucoup de ses coreligionnaires dans le monde, Justin Trudeau s’est fait une spécialité de la privatisation des recettes et de la socialisation des pertes. A Québec ou à Ottawa, les gouvernements libéraux taillent dans les budgets publics, mais volent au secours de Bombardier ou de Simons, financent l’enseignement privé et multiplient les grands projets pharaoniques. Comment s’étonner dès lors que, face au puissant lobby pétrolier, les tièdes promesses de 2015, lors de la Conférence sur le climat de Paris, ne soient plus de saison?

Opinions Benito Perez Canada Ecologie

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