Chroniques

Tapis rouge pour tueurs blancs

En coulisse

A force de devoir faire profil bas lorsqu’on aborde la problématique israélo-palestinienne, à force de craindre de prêter le flanc aux accusations potentielles d’antisémitisme, à force de subir les quolibets incessants de personnes bien-pensantes, parfois de gauche, vantant les mérites de la «démocratie israélienne» et son libéralisme de mœurs supposé au milieu d’un océan de nations arabes rétrogrades, on se prend parfois à douter de son propre sentiment de révolte face aux injustices subies par les Palestinien-ne-s et du bien-fondé de ses convictions anticoloniales, difficiles à tenir en Occident. Le lobby pro-israélien n’est pas un mythe, ni une théorie du complot, c’est un conglomérat de volontés multiples et le fruit d’alliances efficaces jusqu’au plus haut niveau.

Aux Etats-Unis pour le moins, ce lobby s’affiche clairement en tant que tel, avec une officine des plus influentes, l’AIPAC, située à Washington à quelques encablures de la Maison Blanche. Plus complexe est la machine de propagande politique pro-israélienne en Europe; elle mêle habilement lutte affichée contre l’antisémitisme et diabolisation de l’antisionisme via des associations apparemment issues de la société civile. Le CRIF en France, la CICAD en Suisse, et autres organisations semblables ont pignon sur rue dans nos pays. Nombre d’édiles politiques leur témoignent publiquement leur soutien et se pressent à leurs dîners, galas ou stands dans diverses manifestations. Les politiciens français, eux, rivalisent de flagornerie envers les dirigeants israéliens, que ce soit Hollande au temps de sa présidence et «son chant d’amour pour Israël» jovialement assumé entre deux coupes de champagne lors d’un dîner avec Netanyahou, ou Manuel «El Blanco» Valls, récemment honoré à Genève par une organisation de lobbying sioniste siégeant à l’ONU.

Le Département fédéral des affaires étrangères collabore régulièrement avec les hauts-gradés de l’armée israélienne: visites entre «professionnels» et échanges commerciaux qui se chiffrent à plusieurs dizaines de millions de francs. Les médias français demeurent les champions du traitement inique, en donnant régulièrement la parole à des militants sionistes flirtant avec l’extrême-droite, comme l’avocat Pierre-William Goldnadel. Les thuriféraires du régime israélien font la pluie et le beau temps dans le paysage médiatique, comme l’indéboulonnable Finkielkraut qui, entre deux saillies méprisantes pour les Français issus de l’immigration, monte au front avec constance après chaque exaction du gouvernement israélien.

C’est dans ce climat d’indécence général en cours depuis longtemps dans les sociétés occidentales que peuvent se dérouler au Proche-Orient les massacres et la soumission sanglante du peuple palestinien, selon un schéma maintes fois employé par les adeptes du white power au cours de l’Histoire: éradication brutale du peuple colonisé et propagande de justification tous azimuts. Pour de sérieux éditorialistes de France Inter, les Palestiniens qui se font tirer comme des lapins par les snipers de Tsahal servent en fait la propagande du Hamas. Il fallait y penser! Le mouvement BDS, criminalisé en France et conspué dans certains milieux artistiques bobos, propose, comme du temps de l’apartheid en Afrique du Sud, un boycott pacifique visant à enrayer la machine de propagande israélienne. Bien qu’issu de la société civile palestinienne, soutenu par les Israéliens progressistes et des juifs partout dans le monde, il est accusé d’être un mouvement discriminatoire!

Quelles que soient les protestations, aucun membre de la classe politique israélienne ne sera jamais poursuivi en Occident. On continuera à dérouler le tapis rouge aux Netanyahou et consorts et cette chronique vaudra à son auteur (comme les précédentes sur le même sujet) les foudres des bien-pensants locaux outrés qu’on appelle un chat un chat et des criminels des criminels.

Mais, à ce stade, de moins en moins de monde dans l’opinion publique demeure encore dupe. Au moins Trump a-t-il permis de démontrer à ceux qui l’ignoraient encore que le projet colonial israélien s’inscrivait dans la lignée des guerres d’extermination des nations indiennes, de la ségrégation raciale made in USA ou, comme le disait un expert en la matière, Desmond Tutu, dans la continuité de la politique sud-africaine du temps de l’apartheid. C’est-à-dire dans la continuité de la folie raciste blanche.

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com. A l’affiche (jusqu’au 27 mai): Le rêve de Vladmir, Théâtre de Carouge (GE), www.tcag.ch

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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