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De l’argent plutôt que des colis

Nouvelle tendance depuis quelques années dans le domaine de la coopération internationale: au lieu de distribuer des vivres, les organisations d’entraide donnent de l’argent. Les acteurs de l’humanitaire affirment que les programmes de transferts de fonds représentent l’avenir de l’aide.
De l’argent plutôt que des colis
Selon Manuela Born Muella de Caritas Suisse, l’aide humanitaire serait plus utile si elle était matérialisée en argent plutôt qu’en colis. KEYSTONE/Photo prétexte
Aide humanitaire

La guerre en Syrie a forcé des millions de personnes à fuir vers les pays voisins. La grande majorité de ces migrants dépend d’une aide en permanence pour pouvoir simplement survivre. Alors comment les organisations d’entraide peuvent-elles couvrir les différents besoins des personnes, comment doivent-elles organiser la logistique et où se procurent-elles elles-mêmes les biens à distribuer?

Traditionnellement, l’aide humanitaire distribue aux personnes en situation de crise des denrées alimentaires et autres biens de première nécessité. Même si cette forme d’aide a fait ses preuves, elle montre trois faiblesses: d’abord, les paquets d’aide standard ne tiennent pas compte de la situation individuelle des personnes et, partant, ne remplissent que partiellement leurs besoins.

Deuxièmement, cette forme d’aide est dommageable pour le marché local puisqu’on importe des biens achetés en grande quantité par les œuvres d’entraide. Et troisièmement, la logistique d’approvisionnement, de transport et de distribution est très compliquée et engendre de gros coûts. Les transferts de fonds proposent donc une alternative intéressante pour contourner ces faiblesses: au lieu de recevoir des biens, les bénéficiaires touchent de l’argent ou reçoivent des bons, avec lesquels ils achètent eux-mêmes directement sur place ce dont ils ont besoin.

Les programmes de transferts de fonds (en anglais Cash Transfer Programming, CTP, ou Cash-Based Interventions, CBI) réunissent une large palette d’instruments, par exemple l’argent liquide, les bons, les cartes de crédit, les transactions via téléphone mobile ou les virements bancaires. Dans certains cas, le paiement est assorti de conditions: le bénéficiaire touche de l’argent lorsqu’il a donné un coup de main à la communauté pour, par exemple, le ramassage des ordures (argent contre travail) ou lorsqu’il envoie ses enfants à l’école au lieu de les faire travailler.

En outre, certains instruments favorisent l’octroi d’argent liquide pour permettre au bénéficiaire de satisfaire librement ses propres besoins, d’autres privilégient la distribution de bons que l’on peut échanger uniquement dans certains commerces ou pour certains biens. Selon la situation et l’objectif, l’œuvre d’entraide doit déterminer quel instrument est le mieux adapté à quel groupe cible et quel but.

En Syrie et en Jordanie, Caritas Suisse met en place différentes approches de transferts de fonds. Par exemple, les personnes travaillent au traitement des déchets et gagnent ainsi un salaire. Les personnes âgées ou malades reçoivent régulièrement des sommes d’argent qu’elles peuvent utiliser comme elles le souhaitent. Et au début de l’hiver, Caritas a distribué des bons permettant d’acquérir des vêtements d’hiver et des systèmes de chauffage que les bénéficiaires trouvaient dans certains commerces.

«Les avantages de transferts d’argent sont clairs»

Les programmes de transferts de fonds sont encore souvent considérés d’un regard critique et associés à des risques d’abus et de corruption. Mais les expériences, étayées désormais par des études sérieuses, montrent que les risques ne sont pas supérieurs que dans le cas des mesures d’aide plus traditionnelles.

Les avantages de transferts d’argent sont clairs: ils renforcent les bénéficiaires et leur donnent la responsabilité de couvrir eux-mêmes leurs besoins et de ne pas employer l’argent à des fins non prioritaires. C’est une économie de ressources et de travail pour les œuvres d’entraide, ce d’autant plus que la logistique est moins complexe. Les transferts de fonds sont donc plus efficaces et plus concrets que d’autres formes d’interventions. Un autre avantage en est que les marchés locaux bénéficient eux aussi directement de ce genre de programme. Les bénéficiaires individuels achètent sur place ce dont ils ont besoin, renforçant l’économie locale et permettant ainsi de créer des emplois. Chaque franc utilisé comme une aide génère une plus-value pour l’économie sur place.

En Suisse, les personnes qui recourent à l’aide sociale ainsi que les requérants d’asile touchent depuis des années de l’argent liquide. Il ne viendrait à l’idée de personne de modifier cela et de distribuer une corbeille standard de biens. Dans les crises de longue durée, l’aide humanitaire joue le rôle de l’aide sociale. Il est donc compréhensible que l’on introduise les transferts de fonds.

Des tendances comme l’augmentation des populations urbaines, qui rendent nécessaires une augmentation de soutien dans les zones urbaines, mais aussi les crises qui durent et qui reviennent, l’augmentation de la numérisation ou de la pression de la part des bailleurs de fonds en ce qui concerne l’efficacité rendent probable que ce genre de programme va s’intensifier. Les débats portant sur l’aide humanitaire ne laissent aucun doute sur le fait que les programmes de transferts de fonds vont augmenter et qu’ils vont être de mieux en mieux considérés.

Caritas Suisse s’y met également. Le volume des programmes de transferts de fonds est en augmentation. Jusqu’ici, ils ont été utilisés dans onze pays, dans les domaines de l’aide d’urgence, de l’encouragement au revenu, du logement et de la formation. Aider les personnes, renforcer leur autonomie, leur permettre un avenir, travailler plus efficacement – ces objectifs peuvent être efficacement atteints grâce aux programmes de transfert de fonds.

Manuela Born Muella travaille au sein du secteur de la Coopération internationale de Caritas Suisse.

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