Couscous postal
Dans sa dernière publication, insérée dans votre quotidien préféré (le dernier quotidien genevois, donc), le syndicat Syndicom annonce une «victoire d’étape» dans le combat qu’il mène et que mènent les habitants des communes et des quartiers que La Poste menace de priver d’office: les postes de Châtelaine et de Bellevue ne seront pas fermées. Enfin, pas tout de suite en tout cas: leur fermeture, annoncée, est suspendue jusqu’en 2020, d’ici à ce que la loi sur La Poste soit révisée par le parlement fédéral (qu’on va élire en 2019, soit dit en passant).
Mais le combat continue. Et pas seulement pour le maintien des offices postaux – parce qu’il n’y a pas qu’eux – mais aussi des services qu’ils assurent et qui trinquent à la faveur d’une restructuration. PostFinance y passe aussi, avec ce que cela implique d’emplois supprimés, de mutations et de transferts, de services réduits. PostFinance va ainsi supprimer (sans licenciements, promis…) 45 emplois et fermer trois centres de service en Suisse alémanique, dont le personnel (208 personnes) sera déplacé. Cent vingt autres collaborateurs vont être transférés dans une filiale de PostFinance, Swiss Post Solutions (qui a l’avantage, pour l’employeur, de n’être couverte que par une convention collective moins bonne que celle de PostFinance). Le syndicat Syndicom dénonce des mesures «scandaleuses» aboutissant à une détérioration des conditions de travail et à une baisse des salaires. Le président du Conseil d’administration de La Poste, Urs Schwaller, n’exclut pas (même s’il semble s’y opposer) de «se poser la question» d’ouvrir l’actionnariat de PostFinance à des privés. Ben voyons. On a vu à l’ATS l’effet que ça faisait sur le service public…
Et pendant ce temps, que fait La Poste? elle distribue des échantillons. Une correspondante bien inspirée nous a transmis une lettre de ce service public historique, qui lui annonce qu’avec «plusieurs fabricants renommés de biens de consommation», elle (La Poste, donc) aimerait «en savoir plus sur l’acceptation et l’impact d’échantillons dans les boîtes aux lettres», et qu’elle a décidé de distribuer régulièrement aux habitants de «zones données» (et notre correspondante a l’immense chance d’habiter dans une de ces «zones données») des échantillons spécialement sélectionnés. Et qu’elle va donc (l’habitante, pas La Poste) recevoir chaque mois, même si elle ne le demande pas, «un échantillon fort attrayant», pour tester chez elle le produit, «en toute tranquillité». A moins que, mauvaise tête, elle ait placé sur sa boîte aux lettres l’autocollant des anticonsuméristes «Non merci, pas de publicité». Mais La Poste lui envoie, au cas où, un autocollant contraire «Publicité OK», à coller sur l’autocollant antipub (pas à côté, le postier mué, malgré lui, en distributeur d’échantillons ne saurait plus à quel autocollant se vouer). Faut les éduquer, les adapter au nouveau monde de la consommation heureuse, les mauvaises têtes.
En attendant quoi, La Poste annonce à notre correspondante trois échantillons à venir: un couscous lyophilisé «prêt en cinq minutes» («fort attrayant», non?), un adoucissant de lessive et des tablettes pour machine à laver la vaisselle. On ne sait pas lequel des trois est le plus mangeable. Ni s’il est suggéré de les mélanger les trois pour obtenir un couscous fissa adoucissant le linge et lavant la vaisselle. Notre avisée correspondante nous rappelle, au cas où on l’aurait oublié (mais on ne l’a pas oublié) que La Poste «réalise des bénéfices, paie généreusement sa directrice et ferme des bureaux de poste sans pitié». Et s’interroge: «La Poste a-t-elle vraiment besoin de nouvelles ressources financières en recourant à cette forme de publicité?» La réponse est évidemment non. Mais si jamais, on est prêts à organiser une collecte nationale pour que La Poste se remette à faire son travail de service public postal plutôt que distribuer du couscous lyophilisé. Parce que là, elle frise le ridicule.
Notez bien que ça pourrait être encore pire: le couscous lyophilisé pourrait être distribué (avec une photo dédicacée de Doris Leuthard) en car postal…
* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.