Un fossé dans les salles
Début mars, Procinema publie ses statistiques annuelles. Tout va bien pour l’Association suisse des exploitants et distributeurs de films, qui salue une légère hausse de la fréquentation et une année faste pour la production nationale – avec une part de marché de 6,75 %, derrière la France (10.6 %) et les Etats-Unis (66.81 %). La diversité est aussi au rendez- vous, puisque 71 nationalités étaient représentées l’an dernier sur nos écrans. A y regarder de plus près, le tableau n’est pourtant pas si réjouissant.
En 2017, ce sont les Minions de Moi, moche et méchant 3 qui décrochent le pompon avec 473 739 entrées. Public cible privilégié, les familles ont aussi plébiscité le remake de La Belle et la Bête et Baby Boss. Autres blockbusters du Top 10: la franchise à durée indéterminée Star Wars (Les Derniers Jedi), le huitième tour de piste de Fast & Furious, l’insubmersible Pirate des Caraïbes (volume 5) ou encore Cinquante Nuances plus sombres (2e du nom). En onzième place, la comédie française se défend avec Demain tout commence – merci Omar Sy –, devancé en Suisse romande par Raid dingue de et avec Dany Boon. Les super-héros viennent ensuite, à cinq dans le Top 30 – qui compte pas moins de 14 suites et 17 films en 3D.
Où sont donc les films d’auteur à succès ou les productions plus ambitieuses destinées à une audience adulte? Avec 344 861 spectateurs (42 584 côté romand), L’Ordre divin se distingue en 4 e position. Il y a aussi La La Land (6), puis Lion (13) et le remake du Crime de l’Orient-Express (14), mais Dunkirk de Christopher Nolan (16) pointe quatre rangs derrière Baywatch: Alerte à Malibu! Pour en trouver d’autres, il faut descendre loin dans le classement…
Par ailleurs, si Petra Volpe porte le cinéma suisse sur le podium, L’Ordre divin reste l’arbre qui cache la forêt: parmi les 294 longs métrages helvétiques sortis en 2017, douze seulement ont franchi le seuil des 10 000 entrées. Enfin, certains films échappent aux statistiques de Procinema, parmi ceux qui sont importés (sans distributeur) et projetés en marge du circuit commercial.
On peut toujours discuter de la qualité des films, mais les chiffres sont incontestables: les multiplexes (dès huit salles) captent 37,03 % du public et 30 longs métrages (sur 1969 distribués) totalisent 45,71 % des entrées.
L’évolution de l’offre – diversité accrue face à des divertissements hollywoodiens toujours plus formatés – et la reconfiguration du parc de salles scindent ainsi les spectateurs en deux camps: d’un côté le grand public des multiplexes, de l’autre les cinéphiles qui fréquentent les cinémas indépendants ou «alternatifs». Bien sûr, les plus curieux naviguent entre ces deux pôles, mais sont-ils encore si nombreux aujourd’hui?