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A perdre Allen

A perdre Allen
Woody Allen est tombé de son piédestal. WIKICOMMONS
Woody Allen

Le nouveau long métrage de Woody Allen est sorti mercredi dans un contexte chargé. Dylan Farrow, fille adoptive de son ancienne compagne Mia Farrow, a réitéré ses accusations d’abus sexuels. La comédie musicale inspirée de Coups de feu sur Broadway a été annulée dans un théâtre du Connecticut. Des acteurs de son prochain film (Timothée Chalamet, Rebecca Hall et Selena Gomez) ont reversé leur cachet à des associations contre le harcèlement. La sortie de ce Rainy Day in New York étant par ailleurs remise en cause. Et plusieurs comédiennes (Greta Gerwig, Mira Sorvino ou Marion Cotillard) ont aussi pris leurs distances avec le cinéaste.

Pour la critique comme pour tout spectateur, comment apprécier Wonder Wheel dans de telles conditions? Dans la presse romande, elles ont fait céder la digue entre les rubriques culturelles et l’info, jusque-là aussi étanche que la sacro-sainte séparation entre l’homme et l’œuvre. En page cinéma de La Liberté et la Tribune de Genève/24 Heures la critique s’accompagne ainsi d’un encadré sur l’affaire. Et comme dans Le Temps, ces articles relèvent de troublants échos autobiographiques: Wonder Wheel met en scène une épouse aigrie et ancienne actrice, que son amant délaisse pour une femme plus jeune – comme Mia Farrow a vu Woody Allen la quitter pour épouser sa fille adoptive Soon-Yi Previn.

Il aura donc fallu ce «mauvais timing» post-Weinstein pour admettre l’évidence: les artistes – et Allen plus que d’autres – mettent beaucoup d’eux-mêmes dans leurs œuvres! Le meilleur comme le pire. Aveuglé par l’aura du réalisateur, on a longtemps célébré son talent au-delà de toutes autres considérations, sans trop questionner les idées que ses films véhiculaient – au hasard, sur les rapports hommes-femmes. Impossible aujourd’hui de les voir «en toute innocence». Il ne s’agit pas pour autant de condamner l’œuvre, mais de la revisiter d’un œil critique. Tant pis si elle n’en sort pas grandie.

N’en déplaise aux cinéphiles contrariés qui crient au révisionnisme, à la censure ou à la chasse aux sorcières, la présomption d’innocence est une notion juridique qui n’exclut pas la suspicion populaire. Dans notre monde ultra médiatisé où l’image fait des ravages, le créateur «au-dessus de tout soupçon» vacille désormais sur son piédestal.

Mais si Hollywood se soucie soudain de morale, la seule loi qui y prévaut sera toujours celle du tiroir-caisse: tant que le public lui restera fidèle, Woody Allen continuera à tourner. Alors, qui a envie d’aller voir Wonder Wheel?

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