Passage en force budgétaire
Au mieux peut-on parler de nonchalance; les pessimistes y verront toutefois aussi la course erratique d’un bateau ivre. Le gouvernement genevois a négligemment diffusé par communiqué ce mercredi en fin d’après-midi son plan financier quadriennal (PFQ) pour les quatre ans à venir. C’est-à-dire sa feuille de route indiquant à quelle sauce seront mangés les serviteurs de l’Etat, les contribuables et les bénéficiaires des prestations publiques.
Vingt-sept pages de graphiques et de langue de bois technocratiques. On comprend que l’exécutif genevois ait jugé inutile d’inviter la presse pour expliciter ses intentions.
Ce PFQ est pourtant une obligation légale. Lors d’une récente séance de la commission des finances, le Conseil d’Etat s’est fait invectiver – les noms d’oiseaux ont volé – par sa propre majorité de droite pour avoir «oublié» de déposer ce plan de bataille indispensable à l’adoption du budget 2018.
L’erreur est réparée. Mais ce relâchement est surtout inquiétant sur le fond. Le but est d’améliorer le résultat des comptes de l’Etat de quelque 300 millions pour encaisser les effets de la nouvelle grille salariale (Score), d’absorber l’impact des mesures structurelles de redressement proposées pour la Caisse de pension de l’Etat et, surtout, d’anticiper le taux d’imposition unique sur le bénéfice des personnes morales qui devrait entrer en vigueur en 2020. Si possible sans tenir compte du refus en février lors d’une votation populaire de la troisième réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III). Budgétairement, il s’agit en effet d’un copier-coller du projet de loi d’application cantonale gelé en commission des finances.
Celles et ceux qui passent à la caisse sont les communes, priées d’assumer 20% de la RPT (la péréquation financière intercantonale), les bénéficiaires des prestations de l’Etat (asile, personnes à l’assistance soupçonnées de frauder, bénéficiaires de l’AI), les frontaliers (qui, par exemple, pourraient voir leurs enfants éjectés du système scolaire genevois) et, au final, une grande partie des contribuables. Outre un plafonnement de la déductibilité des primes d’assurance-maladie, l’Etat veut aussi récupérer 100 millions sur les propriétaires de villas et d’appartements.
Cela va provoquer une levée de boucliers. A gauche, bien sûr, mais aussi sur les bancs bourgeois, pour qui ces méthodes risquent bien de compromettre PF17 (politique fiscale 2017), la resucée de la RIE III. En se mettant tout le monde à dos, sans l’assumer, le Conseil d’Etat croit-il encore en sa propre politique, voire en lui-même?