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Notre avenir entre les mains de jeunes paysans criminalisés

Une centaines de jeunes membres de La Via Campesina du monde entier ont échangé leurs expériences lors de la 7e conférence du mouvement international.
Agriculture

C’est à Derio, au Pays basque espagnol, que s’est déroulée la 7e conférence internationale de La Via Campesina. Quatre cent cinquante représentants des mouvements paysans, leurs alliés et quelque 150 bénévoles ont célébré un quart de siècle de luttes pour la souveraineté alimentaire. Les jeunes membres du plus grand mouvement paysan mondial furent à l’honneur lors de la 4e assemblée des jeunes qui s’est déroulée les 16 et 17 juillet sous la bannière «Investir dans la jeunesse paysanne. Semer le présent pour récolter le futur!»

Une centaine de jeunes paysans, pêcheurs, travailleurs ruraux et éleveurs, venus de 47 pays du monde entier, ont échangé sur les pressions qu’ils subissent et les défis qu’ils ont à relever. S’ils identifient un problème systémique et un ennemi commun – le capitalisme –, ils connaissent à présent mieux les visages que celui-ci prend chez leurs camarades d’autres continents. En Europe, une ferme disparaît toutes les trois minutes et le secteur agricole vieillit dangereusement. Deidre Butterfly raconte: «Chez nous, au Royaume-Uni, seulement 1% de la population exerce une activité agricole, et parmi ces actifs on ne dénombre que 4% de personnes âgées de moins de 35 ans.» L’accès à la terre est trop cher pour les jeunes qui souhaitent s’installer. «En Suisse, les subsides sont accordés à l’hectare, profitant ainsi aux gros propriétaires terriens, qui achètent les parcelles de leurs plus petits voisins. Une ferme peut coûter jusqu’à 1 million de francs pour ceux qui ne sont pas enfants d’agriculteurs» ajoute Berthe Darras, secrétaire syndicale d’Uniterre. Les jeunes délégués d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie rapportent que c’est parce que leurs droits sont bafoués ou inexistants que les paysannes et paysans ne peuvent pas accéder à la terre, ou ne peuvent pas y rester en sécurité. C’est le cas en Thaïlande, où les militaires au pouvoir peuvent expulser à tout moment les paysans de leur terre. Par ailleurs, toute forme de protestation y est interdite.

La criminalisation croissante de leurs militants – qui touche aussi les activistes des droits humains ou de la justice climatique – préoccupe grandement les jeunes paysans. Elle est protéiforme et va des refus de visas qui ont empêché certains camarades indiens ou africains de participer à la conférence aux assassinats purs et simples. Raul Eguigure rapporte qu’au Honduras, le meurtre de Berta Caceres reste impuni, et que près de 5000 personnes sont actuellement poursuivies, car le militantisme pour le droit à la terre est considéré comme du terrorisme. De nombreux pays d’Afrique ont également vu le nombre d’assassinats politiques exploser ces dernières années. Sur ce continent où, à l’inverse de l’Europe ou de l’Amérique du nord, les petits producteurs peuvent encore représenter jusqu’à 90% de la population, ce sont principalement les jeunes qui travaillent la terre et beaucoup de problèmes découlent de la méconnaissance de leurs droits. Tous les représentants ont évoqué le manque d’espaces propres, de possibilités de s’organiser et de reconnaissance.

Pour lutter contre cela les jeunes paysannes et paysans du mouvement ont compris qu’ils devaient améliorer leur éducation. L’agroécologie paysanne – la seule voie possible pour accéder à la souveraineté alimentaire qui nourrira les peuples – est autant politique que pratique, et la jeunesse de La Via Campesina envisage d’avantage de formations liant les deux aspects. Elle est prête à redoubler d’efforts pour acquérir les outils indispensables à son émancipation. Comme le martèle Paula Gioia, une des plus jeunes membres du comité international de coordination, «les formations – tout comme les politiques publiques que nous appelons de nos vœux – ne vont pas tomber du ciel. L’échange de connaissances, d’expériences et de compétences entre nous est fondamental, et nous pouvons compter sur l’effet papillon.» La jeunesse, de par sa créativité, sa connectivité et les outils de mobilisation et de solidarité qui lui sont propres, a déjà largement contribué à renforcer La Via Campesina et lui apporte une nouvelle visibilité. Mais la nouvelle génération de paysannes et paysans représentée à Derio a conscience qu’elle devra pousser sa lutte bien plus loin. C’est à elle de parer à l’absence totale de perspective à laquelle fait face la majorité des siens, les précipitant sur les chemins de la migration, du fondamentalisme ou de l’esclavage moderne – travailleurs et travailleuses agricoles sans terre et sans droit.

*Bénévole pour La Via Campesina.

Opinions Agora Eline Müller Agriculture

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