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Donald Trump et l’émancipation de l’imaginaire

L’arrivée de Donald Trump au pouvoir marque l’avènement du consumérisme triomphant, selon Miguel D. Norambuena. Une opportunité de réveil des consciences citoyennes?
Sociopolitique

Selon une idée très répandue, pour sortir d’une mauvaise passe, il faut aller jusqu’au bout des choses et toucher le fond. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis, nous y sommes. Son élection, virtuellement gagnée bien avant novembre 2016, touche l’inconscient de milliards de personnes. Cet événement si inattendu, mais également si prévisible, nous plonge dans les dimensions les plus archaïques de nos inconscients. Dans notre modernité contemporaine, tout un chacun ne devient une personne socialement visible et respectée que s’il se laisse porter jusqu’à se consumer dans et par la «société de consommation» (J. Baudrillard, 1996). Se consumer, dans ce cas, c’est s’intégrer socialement: produire et reproduire le conformisme ambiant.

Les publicitaires, experts en sciences cognitives et savamment associés aux vents ascendants du numérique et des transhumanistes, parviennent avec brio à lire et à contrôler ces milliards des personnes de notre société dite postmoderne. C’est là une longue, et maintenant, très ancienne et féconde opération d’asservissement des mentalités (G. Deleuze – F. Guattari, 1980). Rentable tout d’abord car, dans ce dispositif individuel et collectif de contrôle social made in fastfood, chacun finit par ne plus avoir de temps disponible pour développer un esprit critique et résister à une consommation de plus en plus ciblée.

Rentable ensuite car la rapidité numérique ne laisse point d’autre imaginaire social que celui conditionné par la publicité Hi-Tech. La nouveauté contemporaine de cet assujettissement intensif de nos consciences concerne la vitesse, mais également la démultiplication et miniaturisation des circuits d’information reçue.

A ce stade, nous pouvons déjà nous demander où nous en sommes dans l’exercice de la liberté et de la démocratie.

Donald Trump est le symbole du consumérisme victorieux tant rêvé aujourd’hui. Il serait ainsi en train de marquer, dans l’histoire du capitalisme contemporain, un bouleversement imaginaire qualitatif majeur. De plus, il crée du côté de l’Occident, au nom des «affaires» et de la sécurité de son pays, une transformation radicale de valeurs: le négationnisme comme exercice de vérité.

Sans parler du coup bas porté à l’exercice déontologique et éthique des affaires de l’Etat, au profit d’un népotisme de haut vol érigé en norme. Autrement dit, il fait la promotion, à gros frais et à tous vents, dans l’imaginaire social, de la loi de la jungle – celle du plus fort – propre aux milieux affairistes et mafieux dominants. La réaction, fort tardive de par le monde, contre sa nomination montre nonobstant une vigoureuse résistance citoyenne vis-à-vis de ce changement de cap des valeurs.

Ce mouvement appelle à la création de «régimes imaginaires donnant sens à l’expérience humaine» (E. Bloch, 1977), des régimes imaginaires en dehors des asservissements consuméristes auxquels chacun-e est intensivement aujourd’hui assujetti-e. Aux Etats-Unis, ce mouvement est loin de s’éteindre.

Tous ces actes émanent d’une résistance civique et citoyenne positive. Dans ce sens, l’élection de Donald Trump peut constituer une chance pour la pensée «alternative» non consumériste. Elle peut opérer comme un déclencheur d’une véritable sonnette d’alarme vis-à-vis des paradigmes ethnocidaires (R. Jaulin, 1970) comme écocidaires (V. Cabanes, 2015) devenus limite pour la pensée et l’éthique citoyennes.

Ainsi, une nouvelle pensée d’«alter-modernité» est déjà en gestation au cœur de ces courants de résistances plurielles contre le racisme, la misogynie, le sexisme, l’exclusion des minorités et le mépris des personnes âgées. En Europe, on doit pouvoir saisir toutes ces émergences et les traduire en nouveaux paradigmes pour la «pensée et l’agir alternatifs».

Dès lors, et pour paraphraser David Lapoujade (2017), le monde a beau être plein et saturé, il n’en demeure toujours pas moins inachevé. Cet inachèvement ontologique ne peut être que source de nouvelles résistances et de nouveaux modes d’existence pluriels.

Tous ces modes d’existence sont potentiellement capables de se connecter aux consommations existantes. Mais, ils doivent aussi être en mesure de s’en déconnecter. La déconnexion est alors un acte «hors norme» qui devient ainsi un acte-efforts (Spinoza).

Dès lors, l’élection de Trump nous convie, et c’est une chance (!) à agir «autrement» sur notre propre quotidien, dans le paysage consumériste dans lequel nous vivons. C’est dans le quotidien de chacun-e que la bataille pour l’émancipation ou l’asservissement des mentalités se joue, et c’est dans ce même quotidien qu’elle peut être gagnée.

* Ancien directeur du centre Le Racard, fondateur du centre Le Dracar, Genève.

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