Contrechamp

«La participation des enfants est primordiale»

Le conflit armé, vieux de soixante ans, est en train de prendre fin. Les sociétés civiles colombiennes et internationales restent cependant prudentes après les récents accords de paix. Elles attendent le résultat du référendum du 2 octobre et, surtout, la concrétisation de cette paix sur les plans social et économique.
Au centre Cecucol TERRE DES HOMMES SUISSE/ PATRICIA ARMADA
Colombie

La Colombie est victime de ses clichés. On en parle souvent comme d’un pays dangereux: l’un des plus grands producteurs mondiaux de cocaïne et un cartel de la drogue encore bien présent, des règlements de comptes entre bandes armées, une exploitation intensive du sous-sol, la prostitution enfantine dans les zones touristiques, des millions de déplacés internes, des mines antipersonnel sur des terres arables, près de 30% de sa population qui vit sous le seuil de pauvreté… Oui, comme dans tous les pays du monde, la Colombie possède son lot de zones d’ombre.

Mais la Colombie, c’est aussi un métissage de populations et de cultures millénaires, quatre-vingt langues indigènes parlées, l’un des pays les plus riches de la planète en matière de biodiversité (par exemple 1870 espèces d’oiseaux et 3300 d’orchidées), une société civile organisée, un sous-sol regorgeant de pierres précieuses telle l’émeraude, 93% de la population qui sait lire et écrire, des écrivains internationalement reconnus, et tant de belles choses encore.

La Colombie, c’est enfin un pays où Terre des Hommes Suisse accompagne depuis plus de quarante ans des associations locales qui se mobilisent pour une vie digne et l’avenir de leurs enfants.

Entre ses deux océans, sa cordillère des Andes, sa forêt amazonienne, ses rivières et ses plaines, plus de six millions de personnes ont été déplacées ces trente dernières années. Cela signifie que 12% des Colombiens, à un moment donné de leur vie (voire à plusieurs), ont dû quitter le lieu où ils avaient construit des relations, des projets, pour se sauver; ont dû fuir en emportant avec eux la douleur d’avoir perdu des êtres chers et en abandonnant leurs dépouilles. La moitié de ces personnes sont des filles et des garçons de moins de 18 ans. Beaucoup d’entre eux vivent aujourd’hui dans les quartiers populaires et marginalisés de grandes villes comme Cali, Bogotá ou Medellín. Certains ont refait leur vie dans d’autres régions rurales du pays. Les uns et les autres ont en commun le manque d’intérêt que leur porte l’Etat: précarité dans l’accès à l’éducation, à la santé, à la protection.

Les risques encourus par les jeunes

Les enfants et les jeunes vivent au jour le jour, entre un passé rempli de deuils et de douleurs, de blessures encore ouvertes, et un avenir aux maigres opportunités. Cela les rend encore plus vulnérables. Les groupes armés, toujours présents – bandes criminelles qui ont succédé aux paramilitaires et autres entités – les voient comme une main d’œuvre facile pour leurs activités illicites. Les offres d’«emploi» sont légion: transport de drogue, promotion de la consommation et de la vente de drogue dans les écoles, règlement de comptes et racket entre les différentes bandes à travers des actions armées, implication dans des activités d’extraction minière illégales, prostitution en zone minière ou, dans le meilleur des cas, travail domestique dans l’une des villes proches, et ce pour 30% du salaire minimum (qui est déjà si bas lui-même!).

Un enfant sans espoirs, c’est un enfant sans futur, et un enfant sans futur est une proie facile qui risque sa vie pour n’importe quoi, car finalement, quel sens donner à sa vie si on ne peut rêver d’un avenir meilleur?

Quelques avancées récentes

Si le tableau semble sombre, on peut relever des étapes importantes. En 2014, la loi concernant les victimes et la restitution des terres a été approuvée, ce qui a créé un cadre dans l’attention portée aux victimes. Et tout récemment, en août dernier, la signature des accords de paix entre le gouvernement et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) qui représentent un pas décisif pour un mieux-vivre. Il existe cependant des personnes qui ne désirent pas que la guerre se termine, quelques élites politiques et économiques qui ont dépouillé les paysans de leurs terres et souhaitent consolider leurs projets d’élevage intensif ou de monocultures comme la palme. Les accords ne vont pas tout régler. Un autre processus de négociations s’initie avec l’ELN (la seconde plus ancienne guérilla de Colombie), et il faut encore prendre en compte les défis que représentent les bandes armées qui ont succédé aux paramilitaires.

Face à cette réalité complexe, Terre des Hommes Suisse et ses organisations partenaires considèrent comme primordiale la participation de l’enfant en tant qu’acteur fondamental dans la mise en œuvre de sa protection. Tout un travail se réalise également avec les familles, les organisations sociales et les autorités pour offrir des opportunités qui permettent aux enfants et aux jeunes d’obtenir la garantie de leur droit à l’alimentation, à l’éducation et à la protection contre les violences qu’ils vivent quotidiennement.

Juan David, 11 ans, se bouge pour la paix dans son quartier

Témoignage X Juan David a 11 ans, trois sœurs et deux frères. Son père habite à Bogotá, sa grand-mère à Buenaventura, sur la côte Pacifique. Il vit avec sa mère et son beau-père. Sa mère complète le revenu familial grâce à des petits boulots. Lui, plus tard, voudrait être pilote d’avion! Il vit à Los Chorros, un quartier populaire de Cali où la violence est palpable au quotidien, un quartier gangréné par diverses bandes armées: vente et production de drogue, intimidation, violences, etc.

Une bulle d’air où étudier et se former

Malgré les problématiques du quartier, Juan David aime y vivre. Sa situation, en bordure de la ville et de la campagne, lui permet de se balader, d’aller à la rivière… il fait attention à ne pas se rendre trop haut sur la colline. Là-bas, c’est dangereux. Pour s’amuser, il aime jouer mais, depuis des mois, le terrain de foot du quartier est devenu, entre autres, le lieu des fumeurs de marijuana.

Pour toutes ces raisons, il se rend au centre de Cecucol, une bulle d’air pour les enfants du quartier. Juan David y étudie le matin, comme d’autres jeunes qui, pour une raison ou une autre, ont dû sortir du système scolaire public. L’après-midi, il suit des ateliers récréatifs ou il a appris à réaliser des bracelets, à tisser et à jouer du tambour, toutes sortes d’activités qui valorisent les cultures locales. Il apprécie tout particulièrement l’atelier de sérigraphie, focalisé sur les droits de l’enfant et l’autonomie, et celui des échasses, centré sur la confiance en soi. Plus que tout, il aime l’atelier de cuisine. Il y a appris à préparer des desserts, des soupes, etc. Ce cours permet d’aborder les notions de souveraineté et de diversité alimentaires, ainsi que d’écologie. Des ateliers thématiques sont également proposés en fin de semaine, par exemple un débat sur la problématique de l’eau: une thématique importante dans le quartier où en été les pénuries peuvent durer plusieurs mois. Il ne craint pas d’échanger aussi avec d’autres sur la Convention des droits de l’enfant ou sur les engagements des collectivités publiques. Pour lui, le gouvernement ne s’occupe pas bien des enfants, car beaucoup ne peuvent pas sortir s’amuser, doivent aller travailler et n’ont pas accès à l’éducation.

Un proche séjour en Suisse

Juan David est l’un des six jeunes élus pour venir en Suisse en octobre prochain à l’occasion de la Marche de l’espoir (lire ci-contre). Il se rendra dans des classes de Genève pour parler de sa vie, de son quotidien, et pour partager avec les enfants d’ici son expérience et son ressenti. Des échanges qui promettent d’être riches pour toutes et tous.

TdH Suisse

* Terre des Hommes Suisse.

Opinions Contrechamp Patricia Armada, Efrain Botero et Souad von Allmen Colombie

Dossier Complet

La paix en Colombie

vendredi 26 août 2016
Nos articles sur le processus de paix en Colombie, initié en 2016 par la signature de l'Accord de paix.

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