La gauche et les syndicats pris à leur propre piège
Alors que des associations de défense des services publics, relayées par des associations de consommateurs, militent, à juste titre, contre la dégradation du service public en lançant une initiative populaire, la gauche et les syndicats, pris la main dans le sac, se mobilisent contre cette initiative contribuant, de fait, à la poursuite des politiques de libéralisation des services publics.
Dans un communiqué, l’Union syndicale suisse (USS) déclare: «Aussi sympathique soit-elle au premier abord, l’initiative serait en fait dévastatrice pour les CFF, la Poste et Swisscom, tels qu’on les connaît aujourd’hui». Peut-être. Mais notons bien ce «tels qu’on les connaît aujourd’hui». Car ce que les initiants cherchent précisément à combattre, ce sont les conséquences, aujourd’hui, de ce que les ex-Régies de la Confédération sont devenues. Transformées en sociétés par actions, juridiquement modifiées pour se conformer aux directives européennes de libéralisation du service postal et ferroviaire, leur statut, quoiqu’on dise, n’est plus exactement celui d’un service public. Tout le problème est là!
Il fut un temps où il paraissait normal que le PS et l’USS prennent la tête du combat en défense des services publics et de leurs employés. Ce temps semble révolu. La Poste est désormais le premier client des agences de travail temporaire que sont Manpower et Adecco. Ses effectifs syndicaux ont fondu comme neige au soleil et les sections de retraités sont actuellement, par le nombre de leurs adhérents et faute de relève, les plus grosses sections du syndicat des postiers (Syndicom).
C’est dire qu’avec la libéralisation, même partielle, les politiques d’intégration européenne menées tant par le PS que par les directions syndicales coûtent cher à la défense des conditions de travail et aux services publics. Récemment encore inquiète du sort des travailleurs, l’USS se préoccupe désormais de celui des actionnaires. Toujours dans le même communiqué, l’USS affirme que si l’initiative ‘Pro service public’ était acceptée, «la Confédération devrait se retirer de Swisscom, car celle-ci n’aurait pas les moyens financiers de rémunérer tous les autres (sic) actionnaires». Qu’est-ce à dire? Qu’il faudrait, selon l’USS, faire passer les intérêts des actionnaires avant ceux des usagers et du personnel? On peut le craindre.
Faisant feu de tout bois pour tenter de contrer l’initiative «Pro service public», l’USS et quelques ténors du PS ne se privent pas de brandir toute une série d’arguments trompeurs et fallacieux, notamment sur la question des subventionnements croisés. N’hésitant pas à confondre participation actionnariale et intéressement aux dividendes avec subventionnements croisés, ils prétendent que ceux-ci seraient rendus impossibles avec une acceptation de l’initiative. C’est faux! Ce que l’initiative demande pour sortir un peu des logiques marchandes où le service public est entraîné au gré de sa libéralisation, c’est précisément que les bénéfices réalisés dans les secteurs les plus rentables soient non pas transformés en dividendes pour alimenter une véritable usine à gaz actionnariale, mais intégralement reversés aux entreprises publiques pour soutenir et développer l’offre, notamment dans les secteurs les moins rentables. Autrement dit, l’initiative «service public» préconise de rétablir, au sens strict, le principe des subventionnements croisés tels que pratiqués avant la déferlante qui, en matière de services publics, a transformé les usagers en clients, et les clients en pigeons. Si cet objectif vertueux représente certes un coin enfoncé dans le dispositif d’alignement sur les Directives européennes de libéralisations/privatisations des services publics, il n’en est pas moins un moyen, pour la population, d’avancer vers la réappropriation, à terme, d’un secteur public gravement menacé par le trend libéral du «tout-au-marché».
Pour toutes ces raisons, et même si les exposés de l’initiative «Pro service public» ne sont peut-être pas parfaits, il convient de glisser un grain de sable dans les rouages bien huilés du vaste programme de libéralisation/privatisation voulu, de droite à gauche, par l’ensemble des partis gouvernementaux.
* Conseiller communal socialiste de la ville de Versoix (GE).