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Xénophobie réelle, immigrés fantômes

Entre «polonité», blancheur de peau et catholicisme, la Pologne ignore le multiculturalisme. Droit et justice, le parti conservateur au pouvoir, a surfé sur la crise migratoire européenne pour attiser la xénophobie.
Pologne

Au cours de la campagne électorale de l’automne dernier, le parti Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwosc, PiS) [vainqueur des législatives d’octobre 2015] a profité de la crise migratoire européenne pour attiser la xénophobie. «Regardez la Suède ou la France: il y a des zones où règne la charia et où des patrouilles veillent à son application! Voulez-vous que ces phénomènes apparaissent chez nous?», a lancé le président du PiS, M. Jaroslaw Kaczynski, le 16 septembre 2015. Au cours d’un meeting, le 12 octobre, il a même accusé les migrants d’être «porteurs du choléra et de parasites». «Les Polonais voyagent et voient à quoi mène l’immigration, assure Aleksandra Rybinska, journaliste à l’hebdomadaire wSieci, proche du PiS. Le multiculturalisme ne fonctionne pas, alors ils ne veulent pas de cela ici. Le gouvernement précédent avait dû accepter sept mille migrants. C’est déjà trop.»

Tunisien, M. Aziz W. réside à Varsovie depuis six ans. Cuisinier, il a le visage glabre, parle polonais, trinque avec ses amis polonais, mais se sent malgré tout rejeté par sa terre d’accueil. «C’est très dur, confie-t-il. Des regards de travers; des jeunes qui, à l’arrêt de bus, me disent: ‘Rentre chez toi, terroriste musulman!’ Plusieurs fois, je me suis fait agresser.»

Né au Sénégal, M. Mamadou Diouf vit en Pologne depuis plus de trente ans. «En 2007, j’ai demandé et obtenu la nationalité polonaise. Le PiS était alors au pouvoir; je craignais qu’il ne m’expulse.» Animateur d’une fondation sur l’Afrique (Afryka.org), M. Diouf participe à des débats dans les médias et intervient dans des écoles. «Difficile de lutter contre les préjugés, déplore-t-il. Le mot ‘nègre’, murzyn, est couramment employé. De vieux romans et poèmes racistes sont connus de tous les écoliers. Alors, j’explique que la biologie humaine est contre l’homogénéité, que la Grèce et la Rome antiques ont bénéficié des contacts avec leurs voisins… Sincèrement, comment un Polonais peut-il être fasciste, compte tenu de l’histoire de ce pays et de l’importance de sa diaspora à travers le monde?»

Pays sans passé colonial, où les frontières fluctuantes et les meurtrissures de l’histoire ont contribué à confondre polonité, blancheur de peau et catholicisme, la Pologne ignore le multiculturalisme. Il existe bien quelques minorités (germanophones, Ukrainiens, Juifs, Tatars musulmans), mais peu d’immigrés extra-européens: des commerçants vietnamiens arrivés dans les années 1970, environ cinq mille ressortissants africains et, désormais, des migrants acceptés au compte-gouttes. La plupart des Polonais entendent préserver cette homogénéité: seuls 4% estiment que leur pays devrait accueillir des migrants, selon un sondage réalisé en janvier par l’institut CBOS. Les attentats de Paris et les agressions sexuelles de Cologne ont pu conforter cette xénophobie. «L’Allemagne va devenir une république islamique», nous déclare spontanément un militant du PiS. Les graffitis antisémites, les croix celtiques fascistes, souvent tracés par des groupes de supporteurs de football, sont courants sur les murs des villes. «Il existait déjà de l’antisémitisme, alors qu’il n’y a quasiment plus de Juifs depuis la Shoah, déplore Mme Marta Tycner, militante du parti de gauche Ensemble (Razem). Voici maintenant la xénophobie sans immigrés!»

* Paru dans  Le Monde diplomatique de mars 2016.

Opinions Agora Cédric Gouverneur Pologne

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