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Miser sur la diversité culturelle des lieux d’exposition

Après le refus populaire de la rénovation du MAH, Christophe Germann propose des pistes pour une «nouvelle politique publique des musées», telles que la création d’un musée de la BD dans l’ancien musée de l’horlogerie ou l’accès au public des œuvres en dépôt aux Ports Francs.
Genève

Le projet de rénovation et d’agrandissement du Musée d’art et d’histoire (MAH) pour 132 millions de francs a attisé les passions. En temps de disette des finances publiques, qui touche particulièrement les politiques publiques les plus vulnérables telles que la culture, l’idée de mandater la «trademark» Jean Nouvel, champion du dépassement budgétaire, a suscité des craintes fondées. Le peuple a enterré le projet lors de la dernière votation. A juste titre. La privatisation du domaine public par les magistrats en charge du dossier laissait craindre le pire au vu de son caractère improvisé et dilettante. En outre, qui ne trouve pas l’esthétique «shopping mall» de luxe convenu de l’architecte français à son goût personnel, aurait pâti pendant des lustres si la vision retenue par les autorités avait été plébiscitée.

Tirons un trait et imaginons une nouvelle politique publique des musées qui valoriserait les lieux existants non seulement à Genève, mais également en France voisine. Avec les millions de francs qui ont échappé au gouffre MAH, il y a moyen à innover en matière de diversité culturelle des lieux d’exposition.

Un musée en friche pour accueillir le 9e art. Au-delà d’une histoire de sous, de goûts et de couleurs, il est aujourd’hui utile de rappeler qu’il existe à Genève et dans son voisinage une grande diversité d’espaces propices à l’exposition d’œuvres de l’art et de l’histoire, que ces mêmes autorités gardent toutefois en friche. Ainsi, l’ancien musée de l’horlogerie à Malagnou n’est plus accessible au public depuis de nombreuses années. Il a été fermé définitivement après avoir été dévalisé à deux reprises, plus aucun assureur ne voulant assumer les risques de vol. Ce beau petit palais abrite maintenant les bureaux des fonctionnaires de la «promotion culturelle» de la Ville de Genève…

L’immeuble en question est en relativement bon état, entouré d’un joli parc et situé à proximité du Muséum d’histoire naturelle, qui est un grand pôle d’attraction, notamment pour les enfants et leurs familles. Dans le meilleur des mondes possibles, l’ancien musée de l’horlogerie devrait retrouver sa vocation de lieu d’exposition et de rencontres culturelles. Malgré une initiative dans ce sens, la création d’un musée de la bande dessinée, les responsables de la politique culturelle genevoise ont fait la sourde oreille.1 value="1">Cf. l’échange de courriers avec les autorités de la Ville et du Canton de Genève concernant le projet de la bande dessinée proposé par Carmen Valeria Fernandes, Zep, Philippe Duvanel, Daniel Künzi et Christophe Germann en 2015, voir pièce jointe ci-dessous

Genève est la ville de Rodolphe Toepffer et de nombreux autres talents de la bande dessinée qui lui ont succédé. La bande dessinée jouit non seulement d’une impressionnante popularité, mais représente aussi une admirable mise en œuvre de la diversité culturelle telle que postulée par la Convention de l’Unesco de 2005.2 value="2">www.diversitystudy.eu Il coulerait ainsi de source de redonner vie au «château de Moulinsart» sur Malagnou. Cela requiert toutefois de repenser l’emploi et la gestion du parc immobilier de la ville de Genève de manière futée.

Ramener les Ports Francs dans le domaine public. Idem pour les Ports Francs, énorme bunker hautement surveillé aux frais du contribuable et havre fiscal pour une certaine ploutocratie qui y pratique un commerce d’art secoué par des scandales, que les instruments légaux traditionnels n’arrivent pas à discipliner. Il va sans dire que l’affairisme n’est pas critiquable en soi lorsqu’il est honnête et basé sur des qualités d’entrepreneurs sans assistance étatique.

Dans le cas des Ports Francs cependant, il est notoire que certains marchands d’art et autres intermédiaires ainsi que leur clientèle ont su faire des gains faramineux alors que leurs contribution et valeurs ajoutées restaient plus que modestes. Des instances administratives et pénales ont dû intervenir en matière de blanchiment d’argent, fraude fiscale et recel d’œuvres d’art spoliées. Les Ports Francs, qui sont devenus une combine très lucrative pour certains nantis, sont en outre tributaires d’un soutien considérable de la part des collectivités publiques, cela par l’octroi de traitements fiscaux privilégiés et la mise à disposition d’une infrastructure sécurisée par administration fédérale des douanes et nécessitant des ressources humaines coûteuses.3 value="3">Voir notamment le rapport du Groupe interdépartemental de coordination sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GCBF) de juin 2015, p. 115: http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/39966.pdf David Hiler, nouveau président des Ports Francs, souhaite «une augmentation substantielle du nombre des douaniers de sorte à rendre les contrôles crédibles», cf. Alexis Favre, «David Hiler: ‘Les Ports Francs vont resserrer les contrôles’», Le Temps, 10 novembre 2015.

Pour lutter efficacement contre les trafiquants d’antiquités, les vandales de la mémoire archéologique, les receleurs et blanchisseurs ainsi que pour redorer le blason de cette institution pseudo privée, rien de tel qu’une transparence accrue. Celle-ci pourrait être mise en œuvre par des expositions publiques ad hoc des œuvres qui y sont déposées, les Ports Francs étant devenus un lieu où le stockage se pratique sans limite de durée, de sorte que les œuvres d’art y changent de mains à l’envi sans plus voir le jour. Des avantages fiscaux à charge de l’Etat valent bien une obligation à imposer aux locataires des Ports Francs de contribuer à la diversité culturelle des lieux d’exposition. Un tel accès innovateur à l’art profiterait au public amateur d’art et au rayonnement de Genève. Et, de surcroît, pour les collectionneurs et marchands honnêtes, il y aurait une alléchante récompense à la clé: exposer un objet d’art augmente généralement sa notoriété et, par-là, sa valeur vénale…

Un musée en bois pour la campagne. Jamais deux sans trois: une gouvernance imaginative et active en matière de politiques culturelles donnerait le théâtre de l’Ephémère – bâtisse en bois rachetée à la ville de Paris et servant actuellement de site provisoire à l’opéra de Genève à la place des Nations – à une commune genevoise ou savoyarde à la fin des travaux de restauration. Cette donation désirable, à accompagner d’un accord de prêt d’œuvres du MAH pour exposition, ne manquerait pas de drainer foule urbaine à la campagne. En passant, une telle décentralisation donnerait un nouvel argument aux communes rurales pour améliorer les transports publics…

Concevoir et réaliser la diversité culturelle des espaces muséaux en termes de délocalisations, de styles architecturaux et de gestion du domaine public respectueuse d’une bonne gouvernance ne manquerait pas de susciter une concurrence saine qui, dans le meilleur des scénarios, induirait qualité et dynamisme à meilleur prix au bénéfice de la population.

Notes[+]

* Avocat.

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