La souvraineté alimentaire en mouvement
Notre alimentation est au cœur de nos vies. Nous sommes ce que nous mangeons. Ainsi l’alimentation détermine non seulement notre bien-être physique, mais elle est aussi une expression de notre culture, de nos rapports sociaux et au monde.
Il serait faux de réduire la question des systèmes alimentaires à la seule question agricole. Ce ne sont pas uniquement les paysannes et les paysans qui sont concernés, mais bien toute la population. Il s’agit d’une question de choix de société. Le système alimentaire est l’objet d’un enjeu social, économique et environnemental stratégique. Les questions du contrôle du système alimentaire et des rapports de pouvoir sont essentielles et nos gouvernements font preuve d’une naïveté dangereuse en cédant la maîtrise de notre système alimentaire aux intérêts insatiables de grands groupes commerciaux, financiers et industriels privés. Le droit à la souveraineté alimentaire – donc à la démocratie alimentaire – doit être conquis partout dans le monde. Le marché en soi n’est pas un objectif, mais il doit répondre à un projet de société.
L’agriculture industrielle, plutôt que résoudre la question de la faim et de la misère dans le monde, y a contribué et nous a menés dans une impasse. Elle a une responsabilité directe dans les différentes crises auxquelles nous faisons aujourd’hui face: perte massive de la biodiversité, réchauffement climatique (43% des gaz à effet de serre sont attribués au système alimentaire), épuisement des ressources, persistance de la faim, pauvreté rurale et phénomènes migratoires, problèmes de santé liés à une mauvaise alimentation, pollution des eaux et des sols.
Les accords de libre-échange de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) comme les accords bilatéraux ou encore les accords tels que le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) sont de véritables hold-up des multinationales sur les démocraties. Aujourd’hui, les gouvernements, pourtant élus, tendent à s’engager dans la voie de la suppression même de l’idée de souveraineté démocratique. En dérégulant le cadre économique des marchés, ils transfèrent le pouvoir de décision des collectivités vers les groupes et intérêts privés et favorisent ainsi l’agriculture industrielle. Cette volonté de contrôle s’étend d’ailleurs au-delà de l’agriculture et tend vers une privatisation de tous les aspects de la vie.
Le libre-échange organise la mise en concurrence globale. Cette pression économique croissante et de soumission de notre alimentation à la logique d’un seul profit marchand immédiat pousse au développement d’une production agricole qui s’inspire des procédés industriels. La globalisation et la libéralisation des marchés agricoles et alimentaires n’ont apporté aucun bénéfice aux différentes populations ni aux agricultures paysannes. Pourtant, des études de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) démontrent qu’avec un quart des terres cultivées, les agricultures paysannes fournissent 70% de l’alimentation mondiale. Une agriculture paysanne travaillant avec la nature et en respectant les ressources permet donc de répondre à tous ces défis et est seule à même de garantir un approvisionnement alimentaire suffisant et de bonne qualité aux populations. C’est l’agriculture de l’avenir, mais elle doit s’enrichir et se perfectionner avec un engagement de la recherche publique pour pouvoir adapter ses pratiques aux exigences de production dans le respect des ressources naturelles.
Il est donc vraiment urgent de tourner définitivement le dos à l’agriculture industrielle et de faire d’autres choix. Ce n’est pas le marché qui sera en mesure de provoquer ce changement. Pour cette raison, la souveraineté alimentaire – développée par le mouvement paysan international de La Via Campesina comme réponse au projet de dérégulation néolibérale mis en marche par l’OMC – se présente comme une solution fédératrice.
Dans les sociétés industrielles, la part des dépenses d’un ménage pour l’alimentation est aujourd’hui en dessous de 10%. Il est indispensable de revaloriser l’alimentation et de favoriser la création de richesses dans les économies locales. Ceci passe nécessairement par des prix, des revenus et des salaires équitables dans toute la chaîne de production alimentaire.
Comme partout dans le monde, l’agriculture paysanne en Suisse est victime des politiques menées ces vingt dernières années, qui ont eu pour objectif de déréguler les marchés, de globaliser les échanges commerciaux et de pratiquer la course aux bas prix. Pourtant, en 1996, une votation populaire a introduit un article constitutionnel sur l’agriculture qui inscrit le principe d’une agriculture durable. Cependant, l’Etat a privilégié une interprétation exclusivement libérale et a pris l’option de se dégager progressivement du marché et de réduire les protections à la frontière. Si bien que trois fermes et huit postes de travail agricoles sont détruits chaque jour en Suisse. Depuis 1990, 45% des exploitations agricoles ont disparu. Le nombre de personnes actives dans l’agriculture est passé de 253 500 à 158 000 en 2013. Le seuil critique du nombre de personnes actives dans l’agriculture est largement atteint. A force d’agrandissement et de spécialisation des fermes, d’investissements dans la mécanisation, de recours constant à des intrants, les fermes restantes ont augmenté leur productivité et produit globalement toujours autant de calories. Mais cela se répercute par un endettement massif, une surcharge de travail et une pression croissante sur les écosystèmes. De plus, la production se concentre dans les zones faciles d’accès pour les acheteurs et les zones marginales sont peu à peu destinées à une activité d’entretien du paysage.
Si les prix payés aux paysans ont baissé de 28% ces dernières années, les prix à la consommation ont augmenté de 10%; inévitablement, entre ces deux extrêmes de la chaine alimentaire, les intermédiaires profitent de la dérégulation des marchés. Aujourd’hui, la pression sur les prix aux producteurs ne permet plus de rémunérer correctement ni la famille paysanne ni les employé-e-s agricoles. Dans le secteur laitier, les prix ont chuté de plus de 25% depuis la fin des contingents laitiers. Avec des prix de 50 cts/litre au producteur, nous sommes loin d’un prix qui couvre les coûts de production, puisque celui-ci se situe autour de 1 franc/litre.
Certains paysan-ne-s ont mis en place divers systèmes de vente directe permettant de recréer le lien entre consommateurs et producteurs, de renforcer la traçabilité des produits et de revaloriser leur production. Chaque habitant-e a la possibilité, par ses choix d’achat, de favoriser cette relocalisation. Il faut encourager ces démarches, car elles sont les prémisses d’un nouveau rapport social. Cependant, elles ne suffiront pas à imposer un changement, car l’asymétrie de pouvoir sur le marché est trop grande. En effet, une forte concentration du secteur s’est opérée dans la chaine agroalimentaire. Le secteur du lait industriel en est la preuve: il n’existe plus que 4 transformateurs sur le plan national et deux grands distributeurs qui possèdent plus de 80% des parts de marché.
C’est sur la base de ces constats qu’Uniterre a lancé fin septembre 2014 une initiative populaire fédérale (lire ci-dessous). Afin d’inscrire les principes qui guident la souveraineté alimentaire dans la Constitution et de provoquer un débat urgent sur l’avenir de notre système alimentaire.
Une initiative pour la souveraineté alimentaire
Le principe de la souveraineté alimentaire est l’expression des citoyennes et des citoyens de ne pas considérer la nourriture comme une simple marchandise, mais comme un bien culturel auquel nous sommes attachés et que nous voulons défendre. La démocratie alimentaire doit être ascendante, elle prend naissance dans les villages et les régions en passant aux villes et aux administrations. La souveraineté alimentaire ne préconise pas l’autarcie, un auto-approvisionnement de 100%, mais donne une priorité à la production locale. Par différentes mesures garantissant une meilleure transparence du marché, une répartition équitable de la valeur ajoutée dans la filière, une gestion intelligente des quantités, une protection contre les importations à trop bas prix et une politique d’information de la population, l’initiative veut développer les bases d’un approvisionnement durable. L’agriculture paysanne est une agriculture ancrée dans son terroir, qui tient compte du tissu économique et social dans lequel elle évolue. C’est pourquoi l’initiative encourage les échanges commerciaux régionaux qui renforcent ce tissu, créent des emplois dans les régions, permettent de maintenir une valeur ajoutée au plan local, favorisent la traçabilité et réduisent les transports. L’initiative souhaite donc que la Confédération favorise:
• Une agriculture diversifiée et nourricière qui tienne compte de nos ressources naturelles notamment du sol et des semences et qui renonce aux OGM;
• une agriculture qui assure, par des prix rémunérateurs, des revenus équitables aux paysan-ne-s comme aux employé-e-s agricoles et qui offre un avenir aux générations futures;
• Un marché plus transparent, qui soit au service des paysan-ne-s comme des consommateurs-trices; un renforcement des circuits courts pour promouvoir et dynamiser la production de proximité, les emplois dans les régions, réduire les transports et garantir une meilleure traçabilité;
• un commerce international plus équitable par le biais d’une frontière qui joue son rôle régulateur; un droit de se protéger et un devoir de renoncer à des subventions à l’exportation;
• une agriculture et une alimentation citoyenne qui soient à l’écoute de la population; que celle-ci soit souveraine sur le type de politiques agricole et alimentaire qu’elle souhaite développer au plus proche de ses souhaits et en respect des autres régions. RBi
Pour signer l’initiative: www.souverainete-alimentaire.ch