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Cette poussière noire, fine et grasse

SOCIAL • Marco Maltini témoigne du quotidien et du mode d’intégration d’une migrante qui fréquente la Maison de quartier des Eaux-Vives, à Genève.

Son visage est lumineux et encore un peu poupon. Ses yeux d’un noir profond vous fixent avec franchise et détermination. Quand vous lui parlez, elle s’adresse à vous avec volubilité et générosité, n’évitant aucun sujet difficile. Albina1 value="1">Prénom d’emprunt. est belle. Dehors et dedans. Albina est courageuse quand elle vous raconte comment – seule – elle jongle pour s’occuper de ses deux petits mecs de 3 et 4 ans qui peinent à trouver l’espace nécessaire à leur vitalité dans cette unique pièce de 12 m2 où elle vit. Certes, le quartier est chouette, près du plus beau parc de Genève et à un jet de pierre de la future Comédie. Certes, les assistants sociaux sont chaleureux et volontaires et ses voisins – nombreux – partagent avec elle un destin plutôt rassurant, dans une des villes les plus riches du monde.

Malgré cela, les murs de sa pièce deviennent noirs lorsqu’il pleut.

Albina passe ensuite plusieurs heures à nettoyer cette poussière noire, fine et grasse qui pénètre partout. Le bruit des camions qui passent et repassent sous sa fenêtre est incessant; de l’aube au crépuscule, depuis plusieurs années et jusqu’en 2017. Mais le chantier de la Nouvelle Comédie a pris du retard et le foyer d’Albina se trouve au cœur de ce chantier. Chaque jour, elle répète à ses enfants qu’on ne peut pas sortir jouer autour de la «maison», terrorisée à l’idée qu’un trente tonnes les renverse ou perde sa cargaison.

Les enfants sont souvent malades. Ils toussent, ont mal à la tête et leurs yeux sont rouges, non pas de larmes, mais de cette poussière noire, fine et grasse qui pénètre partout.

Le foyer Franck Thomas abrite des familles de réfugiés au cœur de Genève. Au printemps dernier, Albina a accueilli des enfants du quartier dans son logement, leur a offert des plats du Kosovo et leur a parlé de sa culture. Les petits Genevois ont appris à faire des boreks qu’ils ont dégustés avec gourmandise. Albina participait à Ethnopoly, un jeu de découverte de la multiculturalité pour les enfants des Eaux-Vives. Au départ, ça la gênait un peu de n’avoir que 12 m2 à offrir à ses hôtes. Mais les organisateurs du jeu l’ont rassurée et tout s’est bien passé.

Aujourd’hui elle maîtrise la conversation en français, malgré sa modestie qui lui fait dire le contraire. Mais elle veut apprendre à l’écrire, notre langue, comme son grand fils, de 4 ans. C’est important pour elle. Pour l’aider à faire ses devoirs et pour trouver un travail.

Elle passe quelques heures par semaine à la Maison de quartier des Eaux-Vives où elle se sent bien, «parce que les gens sont gentils», parce qu’il y fait chaud aussi et qu’il n’y a pas cette poussière noire, fine et grasse les jours de pluie. Elle souhaiterait donner un coup de main aux bénévoles des repas du mardi, mais cette activité se passe à l’heure où elle doit récupérer son petit à la crèche. Ce n’est pas grave, dit-elle, je trouverai autre chose pour aider et faire passer ce temps, parfois si long. Car Albina ne peut pas travailler. Pas encore. Pas tant qu’elle n’aura obtenu un titre qui le lui permette. L’envie et les capacités ne lui manquent pas. Car Albina est volontaire et avide d’apprendre et de donner. Donner à cette ville où elle est désormais intégrée depuis trois ans. Cette ville qu’elle aime car elle s’y est sentie accueillie et considérée.

Elle garde espoir et observe avec joie ses enfants qui grandissent au milieu d’autres enfants, suisses et étrangers, qui sont leurs copains et qui les invitent à leur anniversaire. Albina est fière de pouvoir inviter les copains de son fils fêter son anniversaire dans les locaux de la Maison de quartier, même s’il pleut. Car ici, il n’y a pas cette poussière noire, fine et grasse qui pénètre partout.

Notes[+]

* Membre du Comité de la Maison de quartier des Eaux-Vives.

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