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Une soirée en mémoire de Ron McGerity au Caré

GENÈVE • Le 25 juillet, une dépêche de l’AFP annonçait la mort, à 20 km de Moscou, de Ron McGerity, 61 ans, un impénitent voyageur à vélo couché, fauché par un chauffard russe ivre. Hommage.

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Ron avait établi ses quartiers d’hiver à Genève dans les années 1990. L’époque était aux squats, un âge d’or de la vie alternative, ce qui lui convenait admirablement bien. Cet ancien marine américain et ingénieur de haut degré universitaire, fut tour à tour bûcheron, prof de plongée et travailla au forage de pétrole. Il avait fait le choix conscient et définitif de la marge et d’une inexistence au registre officiel. Ron était une sorte de hobo du vélo ne cherchant aucun travail, cultivant la discrétion, la non-possession matérielle, la conversation à bâtons rompus, la géographie à fleur de peau et la gentillesse, qui ont marqué tous ceux et celles qui l’ont rencontré. Il fut un ambassadeur atypique de la paix, portant aux quatre coins du monde l’Appel de Genève et l’association Le Caré.

Pour voyager avec sens et à peu de frais, Ron avait développé son propre système, sans doute contraignant, mais qu’il appliquait avec une systématique étonnante: il se rendait chez le maire et s’invitait à la rédaction du journal local. Animé d’un accent américain à couper au couteau, et dégageant une sympathie contagieuse, le polyglotte finissait toujours, chez l’autre, vous ou moi, par triompher du doute. Comme si, pour survivre, il fallait raconter des histoires. Mariela, sa webmaster, dit de lui qu’il était tout simplement indescriptible, une sorte de «cow-boy des temps modernes», sans concession et réfractaire à la modernité.

En avril 2013, il s’envolait pour la Corée du Sud afin de pédaler vers la frontière nord-coréenne, habité par l’audacieuse intention de remettre en mains propres le maillot du Young Boys à non moins que Kim Jong-un en personne. En échange, l’hôtelier bernois duquel Ron reçu le maillot inviterait le dictateur à titre gracieux dans son hôtel! Ron échoua. Mais, fidèle à lui-même, il poursuivit son voyage au Japon.

Il était comme ça, Ron, sensible et entier, surréaliste parfois, et toujours enthousiaste. Déterminé. Je l’avais pourtant déjà senti un peu perdu, peut-être las, largué par l’âge – taraudé par un impérieux besoin de partir pour ne pas rester? Pour Ron, l’enfer c’était l’endroit. Le voyageur au long cours mettait un point d’honneur à aller au bout des choses et s’inquiétait d’un monde prévisible, organisé à outrance, ou l’argent devenait la seule raison de vivre, érodait tant la grandeur d’âme.
Ron privilégiait le contact direct. Il s’était ainsi rendu à vélo chez Bernard Thévenet, le double vainqueur du Tour de France et au chevet de Nicolas Bouvier. On le devine sans peine déboucher une bonne bouteille avec le second, repartis comparses sur la Route de la Soie.

Bien que nous n’ayons jamais voyagé ensemble, dès le premier instant, nous avions noué une relation d’affection. Routes et déroutes, nous aimions à refaire le monde. De temps à autre, Ron «réapparaissait», bienheureux, au Café des Voyageurs. Pour écouter avec attention et respect le récit des autres baroudeurs, avec lesquels il aimait à partager son indéfectible amour de la route. Depuis 1998, Ron avait parcouru quelque cent vingt mille kilomètres en visitant soixante et un pays.
Ron? «Il était du pays qui bouge, en voyage il était chez lui» (Henry Gougaud). Soudainement, je me retourne, il n’est plus. Je reste en rade, orphelin de son humanité, regrettant de ne pas lui avoir posé plus de questions. Parti trop tôt, trop loin. Cet hiver, Ron ne reviendra plus sur son vélo couché et son drapeau genevois.
 

* Soirée hommage à Ron McGerity ouverte à tous, jeudi 20 novembre dès 19 h au Caré, Rue du Grand-Bureau 13, http://lecare.ch/fr/. Au programme: témoignages,
diaporama, buffet, ghost-bike.

Opinions Agora Claude Marthaler

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