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De la schizophrénie écologique helvète

ENVIRONNEMENT • Le calcul de l’impact écologique de la Suisse, présenté comme stable, est obtenu par l’addition d’indicateurs pondérés. Pris dans le détail, ces indices montrent pourtant une augmentation des nuisances, liées à la hausse et à la délocalisation des activités polluantes.

Une récente étude de l’Office fédéral de l’environnement1 value="1">«Evolution de l’impact environnemental de la Suisse dans le monde», OFEV, 2014., confirmant ce que nous écrivions précédemment2 value="2">«La Suisse respecte-t-elle le protocole de Kyoto?», M. Glayre, Moins! n° 12, juillet-août 2014 et Le Courrier du 5 juillet 2014., signale que si notre impact écologique tend à se stabiliser, voire à diminuer en Suisse, celui que nous générons à l’étranger, lui, est significativement supérieur et en augmentation.

Le détail des différents indicateurs pris en compte par l’étude pour la période 1996-2011 montre en effet que l’on observe:

 

  • en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre: une augmentation de celles que nous générons à l’étranger et une stabilisation en Suisse, les émissions à l’étranger étant deux fois plus importantes que les émissions domestiques;
  • en ce qui concerne la consommation d’énergie primaire: une légère augmentation en Suisse comme à l’étranger, les énergies non renouvelables et celles provenant de l’étranger comptant pour environ 80% du total consommé;
  • une pollution de l’air en diminution en Suisse, en stabilisation à l’étranger, cette dernière étant trois fois supérieure à la première;
  • une eutrophisation3 value="3">Dégradation des milieux aquatiques liée principalement à un apport excessif en substances nutritives (engrais agricoles et eaux usées principalement) en légère baisse en Suisse et en augmentation à l’étranger, en quantité similaire;
  • une utilisation des sols stable en Suisse, en augmentation à l’étranger, cette dernière étant supérieure d’environ 70%;
  • une consommation d’eau stable en Suisse, en forte augmentation à l’étranger, où elle est environ dix fois plus importante qu’en Suisse.

De manière surprenante, l’étude conclut que «l’impact environnemental global généré par la consommation suisse ne semble donc guère avoir augmenté au cours des quinze dernières années». Cette conclusion, qui ressemble fort à un tour de passe-passe, est obtenue grâce au calcul d’un «indice agrégé» à partir des différents facteurs, en mesurant pour chacun l’écart aux normes légales. Or il est évident qu’un indice agrégé est forcément subjectif, puisqu’il consiste à additionner, en les pondérant, des éléments de nature différente. Le détail des indicateurs montre au contraire une tendance claire à l’augmentation de notre impact écologique par augmentation et délocalisation des activités polluantes.

Actuellement, la pollution générée à l’étranger pour produire nos importations est environ deux fois et demie plus grande que celle générée en Suisse. De plus, les flux d’importation de matière et d’énergie sont en augmentation4 value="4">www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/02/05/blank/ind22.indicator.130226.223.html. Ainsi, cette étude signale qu’«en 2011, les trois quarts ou presque des atteintes générées par la consommation suisse l’ont été hors de nos frontières».

Signalons de plus que ces résultats sont obtenus en additionnant les impacts générés en Suisse aux impacts liés aux importations, et en y soustrayant les impacts produits en Suisse pour des produits d’exportation. Si cela semble à première vue logique (si l’impact de la production en Chine d’un natel nous est «facturé», il semble logique d’attribuer le poids écologique de la fabrication d’une montre à son pays de consommation), on peut cependant se demander si la situation est véritablement symétrique.

La fabrication en Suisse de biens de haute valeur ajoutée laisse en effet dans le pays des bénéfices et des coûts substantiellement différents de ceux qui sont générés par l’extraction de matières premières ou la production de biens de consommation courante dans les pays du Sud. Il n’est qu’à penser aux différences de salaire et de conditions de travail, mais aussi aux capacités différentes à réparer les impacts écologiques générés par la production.

Notons finalement que, malgré ces différents biais, l’étude admet clairement qu’il est nécessaire de «réduire de 50% au moins notre impact actuel sur l’environnement». Si l’idée est assez généralement partagée que nous avons pris conscience des problèmes écologiques liés à nos modes de vie et que nous prenons des mesures idoines, la réalité semble bien différente. Considérerait-on qu’un alcoolique qui «parviendrait» à stabiliser sa consommation à la maison… mais boirait de plus en plus au bistrot serait sur la bonne voie?

Notes[+]

* Article paru dans Moins!, journal romand d’écologie politique, n° 13, sept.-oct. 2014.

Opinions Agora Mathieu Glayre

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