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Des traitements non homologués face à l’épidémie d’Ebola

SANTÉ • La dévastation causée par le virus Ebola en Afrique de l’Ouest a catapulté les médicaments expérimentaux des laboratoires aux patients. Non sans risques.

«Il n’y a pas de marché pour les vaccins contre Ebola», selon Marie-Paule Kieny, sous-directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Qui voudrait se faire vacciner contre Ebola lorsqu’il n’y a pas d’épidémie? Personne. Il n’y a pas eu beaucoup d’investissements pour développer ce genre de produit. Les scientifiques continuaient malgré tout de faire avancer les recherches.»

L’OMS utilise un outil, le «Rainbow Table», pour suivre les progrès réalisés dans la recherche d’un vaccin et les essais cliniques pour des maladies courantes comme le paludisme, qui fait chaque année quelque 627 000 victimes. Il n’y avait aucun document de ce type pour Ebola lorsque le virus de la fièvre hémorragique a frappé «parce que, jusqu’à récemment, rien ne justifiait qu’on en crée un», explique Mme Kieny.

Au moment où l’épidémie apparue en Guinée s’est propagée au Liberia et en Sierra Leone, il existait une poignée de vaccins et de traitements qui s’étaient révélés prometteurs dans les essais sur les animaux. Ils n’ont cependant pas été immédiatement administrés aux patients d’Afrique de l’Ouest atteints d’Ebola.

L’alourdissement du bilan des victimes – 1350 morts en Guinée, au Liberia, au Nigeria et en Sierra Leone au 18 août – a poussé les autorités de santé mondiales à autoriser l’utilisation de médicaments expérimentaux dont les risques demeurent inconnus et dont la disponibilité est très limitée.

Le 11 août, l’OMS a convoqué un panel de spécialistes chargés d’évaluer les «implications éthiques» en lien avec l’utilisation potentielle d’interventions non homologuées. Selon leurs conclusions, il est «conforme à l’éthique» d’offrir des médicaments expérimentaux «dans les circonstances particulières» de l’épidémie d’Ebola.

Le choix des bénéficiaires prioritaires de tels médicaments soulève également la controverse. La société californienne Mapp Biopharmaceutical, qui a développé le sérum ZMapp, a indiqué récemment qu’elle avait épuisé ses stocks disponibles. L’équipe de Médecins sans frontières (MSF) chargée de soigner Sheikh Umar Khan, le médecin responsable de la lutte contre Ebola en Sierra Leone, a été confrontée à un dilemme au moment de déterminer si elle devait ou non lui administrer le sérum. M. Khan ne l’a pas reçu et est décédé de la fièvre hémorragique le 29 juillet. Le sérum a par la suite été envoyé au Liberia et administré à deux travailleurs humanitaires américains qui avaient contracté Ebola. Ils ont été rapatriés et on rapporte une amélioration de leur état de santé. Un prêtre espagnol traité avec le même médicament est cependant décédé quelques jours après son rapatriement.

Le gouvernement canadien a par ailleurs annoncé qu’il donnerait à l’OMS jusqu’à 1000 doses d’un vaccin expérimental, le VSV-EBOV, qui n’a jamais été mis à l’essai chez l’être humain mais s’est révélé «prometteur dans la recherche sur les animaux». Le 7 août, l’Agence américaine du médicament (FDA) a levé la «suspension totale d’essais cliniques» sur le traitement TKM-Ebola, développé par Tekmira, une compagnie pharmaceutique canadienne, au profit d’une «suspension partielle» permettant l’administration du traitement.

Au même moment, la société Sarepta Therapeutics, basée au Massachusetts, annonçait qu’elle avait suffisamment de doses de AVI-7537, un médicament expérimental, pour traiter quelques dizaines de personnes. Son PDG, Chris Garabedian, a indiqué que le médicament, testé sur des singes rhésus infectés par le virus, avait obtenu un taux de succès entre 60% et 80%. La société n’a reçu aucune demande de médicament pour l’instant.

MSF, qui a déployé quelque 600 médecins en Afrique de l’Ouest, insiste sur l’importance de renforcer les autres mesures de contrôle, qui passent par la mobilisation communautaire, l’éducation, l’amélioration de la recherche des sujets contacts, l’envoi précoce des patients potentiellement infectés dans des centres de traitement, la formation et l’équipement des équipes sanitaires et une coordination efficace.

Quant aux vaccins, «on tente actuellement de déterminer comment et dans quelles conditions ils pourront être rendus disponibles pour les soignants et les populations à risque lorsqu’on soupçonne une exposition élevée. La situation est inédite et on ignore encore comment procéder», précise la sous-directrice de l’OMS. Les patients doivent signer un document pour déclarer qu’ils comprennent les risques associés. «Il n’y aurait, autrement, aucun moyen de développer des médicaments ni de savoir si ils fonctionnent», explique Mme Kieny.

Jeanine Thomas, qui défend les des droits des patients aux Etats-Unis, et qui a participé au panel d’experts en éthique médicale de l’OMS, sait ce qu’il en est de se croire sur le point de mourir et de vouloir un traitement à tout prix, ayant dans le passé contracté le SARM, une infection bactérienne résistante à plusieurs antibiotiques. «Dans votre for intérieur, vous criez pour que quelqu’un vous vienne en aide […] Toutes les options doivent être explorées.»

Les sociétés occidentales ont mené des recherches sur Ebola avec des fonds publics, même si les flambées de fièvre hémorragique n’ont jamais eu lieu ailleurs qu’en Afrique. Ces recherches ont surtout été conduites après que le gouvernement américain eut identifié le virus d’Ebola comme une arme biologique potentielle. «Dans les années 1970, quand la fièvre Ebola a été identifiée pour la première fois, on a pensé qu’il s’agissait de quelque chose d’exceptionnel.

Depuis, il n’y avait eu que de petites flambées et les recherches dans le domaine n’ont pas été considérées comme prioritaires», selon Eleanor Riley, professeure d’immunologie à l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres. Mais les attentats du 11 Septembre ont changé la donne: les Etats-Unis ont commencé à investir dans la biodéfense et ont développé des vaccins, non par crainte d’une épidémie mondiale, mais «parce qu’ils pensaient que ces virus seraient utilisés pour tuer des soldats américains». Des recherches ont donc été menées, mais sans se presser.

La majeure partie des recherches actuelles menées aux Etats-Unis sont financées par le gouvernement. En 2010, le Ministère de la défense a décidé de verser 291 millions de dollars à Sarepta Therapeutics pour financer le développement de traitements contre les virus d’Ebola et de Marburg. Le financement des projets sur Ebola a cependant été annulé en 2012 en raison des contraintes budgétaires. Selon les experts, il est possible que l’Occident soit accusé d’utiliser les Africains comme cobayes en faisant le choix d’employer ces médicaments expérimentaux. D’où l’injonction de Marie-Paule Kieny: «Il est très important que ces médicaments et ces vaccins soient testés simultanément dans les pays dans lesquels ils sont produits et en Afrique, afin que la responsabilité et le risque soient également partagés.»

*Agence du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.